Le Bond, les Belles et les Méchants

Le Bond, les Belles et les Méchants
Paru dans Le Bond 27 - mars 2012
Paru dans Le Bond 27 – mars 2012

50 ans de James Bond ont montré que l’agent 007 était indispensable. Mais l’espion n’est peut-être pas aussi indispensable que ses méchants et ses belles. Que serait-il sans ces deux grandes figures et quelles relations entretient-il avec elles ?

Par Frédéric Albert Levy

L’ambiguïté est présente dès la courte séquence, dite du « gunbarrel », qui ouvre rituellement tous les films de la série. Le spectateur aperçoit Bond à travers le canon d’un fusil, donc du point de vue d’un adversaire de Bond. Et presque immédiatement, Bond tire, blessant mortellement — comme l’indique le voile rouge qui descend sur l’écran — son adversaire… et son public !

Bien sûr, on pourra voir dans cette « mise en scène » quelque construction masochiste, mais la vérité est peut-être plus simple. Défenseur du Bien, Bond ne trouve sa raison d’être que dans sa lutte permanente contre les représentants du Mal. Il existe contre eux, mais surtout il existe avec eux. Dans la geste bondienne, les Méchants sont presque aussi importants que le Bon, parce qu’il est clair qu’ils forment avec lui une espèce d’entité. Bond rejoint alors la structure d’un assez grand nombre de contes cinématographiques modernes, qu’il s’agisse de La Guerre des étoiles, avec sa Force qui peut être utilisée dans le bon et dans le mauvais sens, de Superman III ou encore de Spider-Man III, dans lesquels le héros doit à un moment donné régler ses comptes avec un double maléfique. Et l’on se souvient, dans le premier Batman de Tim Burton, de l’échange entre Batman et le Joker : « You made me. — No, you made me. »

Lee Moore Man with golden gun

Assez naturellement donc, il arrive souvent que les adversaires de Bond ressemblent à Bond. Dès le premier épisode, le méchant Docteur No (dont la double ascendance, anglaise et chinoise, n’était pas sans rappeler celle de Bond, écossaise et suisse) se hâtait de faire revêtir à son prisonnier des vêtements analogues aux siens. Bons baisers de Russie s’amusait à opposer à Sean Connery un Robert Shaw de la même stature et du même moule, et se payait même le luxe de faire mourir James Bond dès le pré-générique, les méchants utilisant un masque reprenant les traits de leur adversaire pour rendre leur entraînement plus convaincant.

Opération Tonnerre commençait par la vision d’un cercueil portant les initiales JB… en fait celles de Jacques Boivard, gangster français avec lequel Bond avait un vieux compte à régler. Les Diamants sont éternels voyaient Bond faire endosser son identité à l’agent ennemi qu’il venait de tuer. Octopussy, accentuant encore ces vertiges de doubles, donnait à Bond l’occasion de prendre la veste et la tunique d’un lanceur de couteaux (qu’il venait d’occire là encore), semant un temps la confusion dans l’esprit du propre frère jumeau de celui-ci. Ce thème de la gémellité était d’ailleurs annoncé dès le départ avec la fameuse réplique : « So you are a Toro, too », Bond ayant, là aussi, pris l’identité d’un de ses ennemis.

OHMSS 2C’est là qu’interviennent ce qu’il est convenu d’appeler les James Bond Girls — au moins les plus importantes d’entre elles, celles qui sont pour Bond autre chose que des passades. Elles sont comme une monnaie d’échange entre lui et ses ennemis. Et comme une image du destin. Une fois que Bond a conquis la maîtresse de son adversaire, la partie est jouée : l’adversaire est déjà symboliquement vaincu. Et même si Scaramanga, Blofeld ou Drax se hâtent de tuer ces « traîtresses », leur vengeance reste dérisoire : en agissant ainsi, ils ne font que hâter la confrontation finale avec Bond lui-même.

On peut se demander si toutes ces dames qui passent si facilement du mauvais côté au bon côté ne le font pas parce qu’elles retrouvent en Bond quelque chose de leur ancien amant. Mais dans ce jeu d’échecs, il n’y a pas de place pour deux rois autour d’une même reine.

Voilà, bien sûr, qui va faire hurler des régiments de féministes. Barbara Bach ne s’est pas gênée pour dire qu’elle ne voyait en Bond qu’un sale chauviniste mâle utilisant ses petites amies comme bouclier contre les balles de ses adversaires (elle pensait bien sûr à la mort de Fiona dans Opération Tonnerre, mais aussi à une scène analogue, quoique plus brève, dans l’Espion). Mais Bond n’est pas tant misogyne que misanthrope. Et pas tant misanthrope que solitaire. Voudrait-il s’attacher à quelqu’un ?… Il ne le pourrait pas. La mort de sa femme dans les minutes qui suivent la célébration de leur mariage (Au Service Secret de Sa Majesté) marque clairement les limites que lui fixe le destin. Les femmes de James Bond peuvent être condamnées à n’être que des James Bond Girls. Mais James Bond lui-même ne peut être autre chose qu’un James Bond Girl Man.

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En dépit de toute son indépendance, face aux méchants comme face aux jolies filles, Bond fait partie d’un système. Comme dans la mythologie grecque, il ne saurait y avoir de héros sans une cosmogonie autour du héros. Blofeld ou Goldfinger sont à Bond ce que le Cyclope était à Ulysse. Et les James Bond Girls, comme le suggérait Ursula Andress surgie des ondes dès Docteur No, sont tout simplement ses Sirènes.

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