La Musique

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En plus de 50 ans, les films de James Bond se sont imposés comme des blockbusters avec des musiques originales pour chaque générique composés par des artistes du moment.

James Bond a aussi une signature musicale particulière reconnaissable entre tous, et qui le distingue des autres blockbusters.

ALL TIME HIGH :  petite histoire des chansons bondiennes

James Bond, c’est aussi une signature musicale… Il y eut d’abord le James Bond Theme, Monty Norman, l’incomparable John Barry et, plus récemment, David Arnold. Mais pour le grand public, 007 ce sont avant tout des chansons emblématiques restées dans toutes les mémoires. Autant de hits qui en dépit de la succession des compositeurs et des interprètes traversent empreintes de la Bond touch. Une face inexplorée du mythe.

La recette d’une bonne chanson

Qu’est-ce qui fait le succès et la persistance d’une chanson bondienne ? La question demeure.

D’abord, ses compositeurs : le plus souvent ceux des bandes originales. Ensuite, évidemment de talentueux et célèbres interprètes. Enfin, plus méconnu, des producteurs ou des ingénieurs du son, de haut vol… Pourtant, à y regarder de plus près, d’autres similitudes surprennent.

Les chansons-titres sont presque toujours écrites « sur un coin de table » et assez rapidement, preuve qu’elle son marquées du sceau du talent. Elles sont ensuite le fruit de collaborations entre artistes d’une même « famille ». Ainsi, John Barry fait-il régulièrement appel au parolier Don Black, George Martin sera associé à son ex-Beatles Paul McCartney et Marvin Hamlisch sollicite Carole Bayer Sager, sa parolière attitrée qui deviendra sa compagne, Madonna s’entoure de Michel Colombier et Mirwais. Adele, de son coté, s’occupe des paroles, mais laisse son producteur Paul Epworth s’occuper de la musique…

Enfin, ces hits mélodieux et puissant mettent en vedette des voix pop hors du commun. Si dans les années 60, Shirley Bassey, Tom Jones ou Nancy Sinatra sont en devenir, approcher les stars de la pop fait désormais partie d’une stratégie marketing et promotionnelle bien rôdée. Elle n’est pas pour autant une garantie de succès. Sous l’ère Brosnan, les prestations de Tina Turner, Sheryl Crow, Garbage et de la Madonne furent des échecs sur le territoire américain, poussant MGM à revoir sa copie. A contrario, celle du méconnu Chris Cornell fut un immense succès… Exception qui confirme la règle.

Là est le fondement, la finalité de la chanson d’ouverture, héritage des films des sixties au même titre que les longs génériques/crédits illustrés. Dès les origines, Bons baisers de Russie en 1963, elle est calibrée comme un puissant moyen de promotion du film hors des circuits cinématographiques habituels, via la radio puis la télévision et désormais sur le Web. Voilà pourquoi les studios insistent pour qu’elle reprenne la plupart du temps le titre du film, cité en boucle. N’oublions pas par ailleurs que ce sont les studios qui, via leurs filiales « musique », commercialisent bande son et chanson via disques, CD et plateformes de téléchargement..

Au vu de ces enjeux commerciaux croisés, ces quelques minutes de mélodie font toujours l’objet d’âpres discussions entre « Cubby » Broccoli, Harry Saltzman, John Barry puis ses successeurs. Il en va du lancement du film et de la notoriété de la franchise tout entière. Déjà dans les sixties les studios ont leur mot à dire, et ne s’en privent pas. Leur pouvoir ne fera que se renforcer au fil des années.

« La chanson, la musique, le style »

Mais revenons aux origines et à Bons baisers de Russie. On le sait Dr No ne comportait pas de chanson titre même si « Three blind mices », qui introduit le film, et « Underneath the Mango Tree » hantent nos mémoires de fans. Arrangeur et orchestrateur de ce premier opus, le tout jeune John Barry se voit confier la bande son : il sait qu’une bonne chanson est une parfaite mise en bouche. Le parolier vedette Lionel Bart lui est d’emblée associé. En mars 1963, éléments clés du dispositif, tous deux sont de la conférence de presse de lancement du film à l’hôtel Connaught de Londres. Matt Monro est désigné pour donner de la voix sur les conseils d’un ami de Barry, Don Black. C’est l’un des producteurs du label de l’interprète, EMI, qui pilote les trois jours d’enregistrement dans les studios de la marque. Son nom ? George Martin. Les studios ? Abbey Road.

Avec Goldfinger, Barry reprend les rênes et fixe la règle intangible : « The song, the score, the style ». Ce « tout en un » jazzy et orchestral, marque du maître, voit ainsi la chanson-titre citée dans la bande son du film. C’est en une nuit, dans un appartement londonien où les jeunes Michael Caine et Terence Stamp hébergent Barry, qu’est composé le plus gros succès bondien. Ils seront les premiers auditeurs du tube. Tous les vendredis, la petite bande déjeune au Pickwick Club avec un certain Leslie Bricusse, parolier de son état avec qui Barry a composé peu de temps auparavant la bande-son de Zulu. Tout naturellement, il lui propose, ainsi qu’à son compère Anthony Newley, de mettre des mots sur sa musique. Pour toute feuille de route, Albert R. Broccoli leur donne quelques éléments de l’intrigue dont la présence d’une femme dorée à l’or fin.

Au mois de décembre 1963, Barry a dirigé en tournée l’orchestre d’une jeune et talentueuse galloise, Shirley Bassey. La suite est connue. Une brève histoire d’amour les unit. Le 20 août, c’est elle qui enregistre le titre mythique en une soirée… en ne comprenant rien des paroles et manquant de défaillir à la note finale. A l’écoute du titre, Harry Saltzman, dont les jugements musicaux sont très peu visionnaires, s’exclame, visionnaire : « C’est la plus mauvaise chanson que j’ai entendue de ma vie. C’est terrible ! »

Nobody does it better

En 1965, pour Opération Tonnerre, la chanson est créée très en amont de la composition de la partition. Barry découvre par hasard le surnom dont 007 est affublé en Italie : « Mr Kiss Kiss Bang Bang ». Où va se nicher l’inspiration ? Broccoli et Saltzman adhèrent à tel point que le titre est intégré à l’intrigue du film : lors des scènes jamaïcaines, le « Jump Jump Club » devient le « Kiss Kiss Club ». La déjà très reconnue Dionne Warwick enregistre le titre en septembre 19645, avant que United Artists… ne fasse machine arrière et impose au dernier moment que le titre de la chanson soit celui du film. L’impact publicitaire sera ainsi décuplé lors des diffusions radio. Le temps presse, la pression est énorme. John Barry réécrit une mélodie en un jour tandis que Don Black rédige de nouvelles paroles. C’est lui qui songe à un jeune crooner gallois, Tom Jones.

On ne vit que deux fois prend une tournure tout aussi rocambolesque. Une première chanson est composée fin 1966 sur des paroles de Leslie Bricusse sur la voix de Julie Rogers. Elle est promptement rejetée. Une seconde voit donc le jour en janvier 1967. Echaudé par Barry, Saltzman qui a la main sur la production du film s’attache les services d’un « music supervisor ». Cette initiative aujourd’hui monnaie courante sur les productions est à l’époque une première… particulièrement outrageante pour Barry.

Dans le même temps, Broccoli évoque auprès de son vieil ami Franck Sinatra l’enregistrement imminent d’une chanson titre. « Cubby » a vu grandir sa fille Nancy, désormais chanteuse en vue. L’affaire est faite. Le 2 mai 1967, elle s’envole pour Londres vers les studios CTS afin d’enregistrer You only live twice. Barry est exigeant, la jeune interprète de 26 ans est nerveuse en dépit du paternalisme de « Cubby ». Trente prises ne suffiront pas à un rendu convenable. De l’aveu de l’ingénieur du son bien des années plus tard, la chanteuse manque de voix et n’est pas au niveau. Le morceau final sera donc … une composition réalisée à partir des vingt-cinq meilleures prises !

Il est heureusement des enregistrements plus heureux. Tel celui de Au service secret de sa Majesté par un Louis Armstrong diminué,  fin octobre 1968. John Barry a tout lieu d’être ému : Satchmo s’était produit dans le théâtre de son père à York au milieu des années 30. Si le grand Louis n’a pas la force d’interpréter les parties de trompette (un musicien américain s’en chargera), Phil Ramone, ingénieur du son et producteur légendaire (Frank Sinatra, Bob Dylan, Ray Charles, Stevie Wonder, Quincy Jones, Liza Minelli, Bono…), confessera que les trois prises nécessaires furent un pur moment de magie.

Les Diamants sont éternels sera nettement moins reposant pour John Barry. Don Black écrit des paroles quelque peu licencieuses… Cela n’échappe pas à Harry Saltzman qui lors de l’audition organisée par Barry dans son propre appartement fait fuser les noms d’oiseaux. Une prise de bec (justement) s’en suit entre Black, Barry et lui avant que le producteur ne claque la porte. Durant la scène « Cubby » a conservé son calme légendaire. Il n’aura que deux phrases : « John, as-tu du Jack Daniels (ndlr. wiskhey) ?… Alors, nous allons nous focaliser sur ton Jack Daniels ».

Cette énième escarmouche laissera des traces profondes et durables entre Barry et Saltzman. Pour Vivre et laisser mourir dont il a la charge Harry ne fera pas appel à Barry, par ailleurs trop occupé et déjà en litige artistique avec Guy Hamilton depuis Goldfinger. Le producteur Ron Kass vient justement de prendre la tête de MGM Records mais aussi de Hilary Music, la maison de production musicale de Saltzman. Kass qui fut le manager d’Apple Records, maison de production des Beatles, évoque lors d’un dîner le futur film avec Mc Cartney qui, il le sait, brûle de composer pour la franchise. Il lui donne son accord.

Début octobre 1971, Paul dévore la nouvelle de Fleming et se met au piano. En quelques heures, il compose parole et mélodie. Son épouse Linda, avec qui il pilote désormais la destinée de son groupe les Wings, lui suggère une digression reggae, c’est chose faite. Estimant que le tout manque de corps, il appelle son vieil ami producteur et arrangeur… George Martin. La démo qu’ils enregistrent ensemble quelques semaines plus tard avec 55 musiciens… sera la version finale. La réaction d’Harry Saltzman reste là encore mémorable (voir Le Bond  n°34) mais Martin est engagé pour composer la bande son.

Six ans plus tard, c’est la fiscalité britannique qui va avoir raison de John Barry. A l’instar de nombre de ses compatriotes (M. Caine, S. Bassey, D. Bowie, R. Stewart et bientôt R. Moore, A. Broccoli…), il a dû s’exiler aux USA pour échapper à l’impôt : pas question pour lui de regagner la Mère Patrie pour enregistrer le score avec « ses » musiciens comme le veut la tradition. « Cubby » désormais seul aux commandes choisit donc le compositeur le plus en vue du moment : Marvin Hamlisch. Du haut de ses 32 ans, il est le seul à avoir glané en cette année 1976, 3 Oscar et 4 Grammy auquel s’ajoute un prix Pulitzer pour la comédie musicale A Chorus Line. Là encore, le talent précipite la composition. Dans son appartement new yorkais, Hamlisch trouve les premières notes de la chanson. A l’écoute et dans la foulée, Carole Bayer Sager sa parolière entend ces mots : « Nobody does it better » et écrit la même nuit le refrain. Le reste se fera par téléphone, Marvin étant en Europe. Sager intègre par précaution « The spy who loved me » dans les paroles.

Venu à Pinewood faire entendre son œuvre, le compositeur trouve peu d’oreilles attentives… hormis celle de Roger Moore, très concerné et visiblement conquis. Le titre a tant de retentissement et colle tellement à la peau de 007 qu’il devient même la phrase d’accroche du film sur les poster anglo-saxons. Et le sera à nouveau pour Octopussy en 1983.

En 1979, dans les bacs comme sur l’écran, Broccoli veut frapper fort avec Moonraker. Il signe un accord avec son ami Sinatra pour l’interprétation du titre. Paul Williams écrit les paroles sur la mélodie initialement composée par John Barry. En dépit d’un satisfecit général, the « voice » décline finalement l’offre à quelques jours de l’enregistrement. John Mathis enregistre la chanson, mais les producteurs déchante et propose ensuite à Kate Bush, qui refuse. C’est alors que Barry croise par hasard Shirley Bassey dans un hôtel de Beverly Hills. Tout est à refaire et d’abord les paroles. Hal David reprend la main. Une semaine plus tard le titre est dans la boite. Il fera un carton même si la chanteuse avouera avoir « rendu service » à son ami John.

Fausses notes

Octopussy pose un tout autre problème au parolier Tim Rice, alors remarqué pour sa comédie musicale Evita. Impossible d’inclure le mot « Octopussy » dans le titre ou même les couplets… C’est en s’inspirant de dialogues du film que le problème est résolu. Rita Coolidge est choisie car elle compte parmi ses fans une certaine Barbara Broccoli… Entendant la voix un soir, « Cubby » s’écrit « C’est elle qu’il me faut ! ». La chanson constitue un exemple promotionnel unique à double titre : le thème est repris tout au long du film et la chanteuse a les honneurs du premiers clip bondien diffusé sur une toute nouvelle chaine musicale lancée en juin 1981, MTV.

Mais c’est en 1997, avec Demain ne meurs jamais, que « la » chanson rentre définitivement dans la sphère promotionnelle et la juridiction du studio distributeur. David Arnold est alors choisi pour composer la bande originale. Comme sous l’ère Barry, contractuellement, le compositeur co-écrit toujours la chanson-titre. Dans le même temps, MGM sonde  isolément de nombreuses stars de la pop laissant croire à chacune qu’elle a l’exclusivité d’une composition bondienne : Simon Le Bon (ex-Duran Duran), Jarvis Cocker (Pulp)… Sheryl Crow sera finalement l’élue. On connait la suite.

Aussi, désormais, sur l’autel du marketing un (piètre) interprète bankable peut reléguer la (fabuleuse) title song initialement prévue en générique de fin : rappelons-nous que Garbage (The World Is Not Enough) fut préféré à la composition Only Myself To Blame chantée par Scott Walker, composée par David Arnold et écrite par le vétéran Don Black… Ou bien encore que Tomorrow Never Dies de K.D.Lang rebaptisé Surrender d’Arnold fut chassée par l’affreux Tomorrow Never Dies by Sheryl Crow.

Pourtant les échecs sont rares. C’est en général lorsque les vues artistiques du compositeur en titre et de l’interprète diffèrent voire lorsque les deux travaillent chacun de leur côté que le mayonnaise ne prend pas pour le public non plus. John Barry et A-ha pour Tuer n’est pas jouer ; Madonna et David Arnold avec Meurs un autre jour, Jack White et Alicia Keys pour Quantum of Solace en sont les plus terribles illustrations…

Le summum étant naturellement atteint avec Eric Serra qui non content de livrer une bande son de piètre facture, fait ajouter son main title (The Experience of Love) en fin de métrage… qui ne fait heureusement pas oublier le puissant mais pourtant moins vendu GoldenEye de Tina Tuner.

Depuis que Daniel Craig a repris le PPK, une ère nouvelle s’est ouverte. En connaisseur, l’interprète de 007 attache une importance toute particulière au choix de l’interprète musical. Ainsi, validera-t-il le choix de Chris Cornell en 2006 ou plus récemment influencera-t-il celui d’Adele, dont il est un fan absolu.

Preuve supplémentaire et irréfutable de l’empreinte majeure des génériques sur la saga et des millions de fans bondiens, ou pas…


La plupart des anecdotes et révélations sont tirées du passionnant ouvrage de Jon Burlingame, The Music Of James Bond, paru en 2012 à l’occasion du 50ème anniversaire de la saga chez Oxford University Press.

Dr.no music


Analyse

Les Bandes sons d’une fois

007 compositeurs qui n’ont fait qu’un seul film


La partition du James Bond theme
La partition du James Bond theme

Les mots pour le dire

Ils sont cinq, cinq compères ou proches de John Barry. Cinq paroliers à avoir à leur actif huit des plus grands hits bondiens, et bien d’autres…

Lionel Bart (From Russia With love)

Auteur de 51 chansons, il se fait connaître par la comédie musicale « Oliver ! » avant d’écrire son plus gros succès, « From Russia With Love ».

Leslie Bricusse (Goldfinger, You Only Live Twice – non crédité)

Parolier et compositeur, il est connu pour ses collaborations avec Henri Mancini et John Barry , en particulier avec Anthony Newley pour « Goldfinger ». 22 fois nommé aux Oscar, il remporte une statuette avec Mancini pour avoir adapté et composé les chansons du film « Victor, Victoria » en 1983.

Anthony Newley (Goldfinger, You Only Live Twice)

Acteur et parolier, outre une soixantaine de films et de série à son actif, il écrit une vingtaine de chansons dans des films aussi différents que Charlie et la chocolaterie (1971), Susie et les bakerboys (1989), Casino (1995), Bruce tout puissant (2003)… Il est par ailleurs connu pour avoir été l’époux de Joan Collins.

Don Black (Thunderball, Diamonds Are Forever, The Man With The Golden Gun)

Quincy Jones, Henri Mancini, Elmer Bernstein, Marvin Hamlisch, Michel Legrand… et naturellement John Barry : ses collaborations parlent pour lui, il est l’un des plus grands paroliers anglais. Il remporte un Oscar avec Barry pour Born Free et compose deux succès de la saga.

Hal David (On Her Majesty’s Secret Service, Moonraker)


La Référence sur les musiques de James Bond

The Music of James Bond, de Jon Burlingame

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