Carte Blanche pour Jeffery Deaver [Critique]

Carte Blanche pour Jeffery Deaver [Critique]

En EXCLUSIVITÉ sur le site du CJBF – Pierre Rodiac nous livre sa critique de Carte Blanche, le nouveau roman de James Bond écrit par Jeffery Deaver

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C’est le 27 mai, la veille de la date anniversaire de la naissance de Ian Fleming, qu’est sorti le nouveau roman de James Bond. Carte Blanche, de Jeffery Deaver qui sera publié chez nous par Flammarion le 1er juin. Et c’est en grandes pompes que l’ouvrage a été lancé le 25 mai. L’auteur, escorté par une Bond Girl vêtu de cuir moulant juchée sur une moto de course, est arrivé à la Gare Saint-Pancras de Londres au volant d’une Bentley Continental GT, celle que conduit James Bond dans le roman. Le livre est apparu par les airs, entre les mains de commandos des Royal marines descendus en rappel depuis les toits de la gare. Le tout suivi par un discours officiel de l’auteur et de Lucy Fleming, nièce de l’auteur, avant le cocktail au champagne.

Le précédent roman de James Bond, Le diable l’emporte, sorti en 2008, avait connu une campagne promotionnelle tout aussi éclatante. Une réussite publicitaire qui engendrait un succès commercial que les éditeurs tentent à présent de reproduire. Jeffery Deaver a donc été contacté par les ayants-droits de Ian Fleming il y a plus dix-huit mois maintenant pour se voir proposer d’écrire une nouvelle aventure de James Bond. De quoi emballer un auteur réputé de romans policiers qui a découvert l’espion 007 dans son adolescence.

Après, Kingsley Amis, John Gardner, Raymond Benson et Sebastian Faulks, voici donc la nouvelle aventure de James Bond sous la plume de Jeffery Deaver. Contrairement à son prédécesseur qui avait situé le personnage dans les années 60, Deaver replace Bond dans un univers contemporain comme l’avaient déjà fait les autres successeurs de Fleming. Mais ceux-ci s’étaient contenté de faire évoluer l’espion originel dans leur propre époque. Deaver réalise pour sa part, tout comme pour la série des films, un authentique « reboot » du personnage. Fleming avait fait naître son héros dans les années vingt et débuter sa carrière juste avant la seconde guerre mondiale. S’il avait fallu conserver les origines du personnage telle quelles, James Bond aurait aujourd’hui quatre-vingt dix ans. Pas mal pour un espion encore en exercice !

Jeffery Deaver modernise donc le personnage qui voit le jour dans les années quatre-vingt et a servi dans la Royal Navy en Afghanistan avant d’être recruté par M. Les aspects biographiques de l’enfance et de l’adolescence du personnage conçus par Ian Fleming sont conservés et c’est avec plaisir que nous voyons évoqué l’accident de montagne qui causa la perte de ses parents, ainsi que l’adoption par sa tante Charmian ou ses études à Fettes.

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Par contre, 007 version modernisée ne travaille plus pour le SIS/MI6, mais pour une toute nouvelle organisation, l’ODG, adaptée aux contraintes et aux réalités de l’espionnage moderne. On y retrouve cependant l’ensemble des personnages qui constituaient déjà l’univers du MI6 : M, Bill Tanner, Moneypenny, Mary Goodnight… Le lecteur y découvre que la section Q est gérée par un nouveau personnage, un indien dénommé Sanu Hirani, très éloigné de l’armurier qu’était le Major Boothroyd. Nous apprenons également avec surprise que M a remplacé sa sempiternelle pipe par des cigarillos.

Nous retrouvons de même René Mathis et Felix Leiter, respectivement agents des services secrets français et de la CIA, et qui soutiendront 007 dans sa mission. Bond lui même se voit offrir une nouvelle vie et donc une psychologie différente. May, sa gouvernante est évoquée, il ne fume pas mais continue à consommer de l’alcool et à inventer des cocktails. À ce propos, l’ouvrage est truffé de références plus ou moins directes aux personnages littéraire et cinématographique, voire à Ian Fleming lui même, comme ce repas entre 007 et M, préalable au recrutement de Bond dans les services secrets ; passage au restaurant, copie conforme de la rencontre entre Fleming et L’Amiral Godfrey, chef des services secrets britanniques, avant la seconde guerre mondiale.

L’intrigue est solide et bien construite, amenant Bond de la Serbie à l’Afrique du Sud en passant par Londres et Dubaï. Les chapitres sont courts et le rythme est enlevé, opposant l’agent 007 à un étrange nécrophile pâle aux ongles longs, secondé par un terroriste irlandais coiffé d’une étrange frange blonde et apparemment insensible aux émotions. La trame en ce sens, est plus proche des romans de Raymond Benson que de ceux de John Gardner, moins bien construits la plupart du temps.

Bien sûr, les éléments féminins ne manquent pas, telle Ophelia Maidenstone, lien entre le MI6 et l’ODG ou bien encore les sud-africaines Bheka Jordaan, agent de la police locale ou encore l’humanitaire Felicity Willing.

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Jeffery Deaver, respecte assez soigneusement les canons fleminguiens, notamment dans les descriptions soigneuses des repas et boissons de l’espion anglais. Les détails des lieux et décors sont plus minimalistes, l’auteur optant plutôt pour un style efficace que pour les longues descriptions de ses prédécesseurs. L’atmosphère si chère aux romans de Fleming s’en trouve un peu affaiblie au détriment du rythme rapide de l’intrigue.

Les scènes d’action ne sont ni nombreuses, ni spectaculaires, Deaver centrant son récit sur le rythme, le suspense et le réalisme scientifique plutôt que sur les poursuites et les combats, sommes toutes assez classiques. Il compense cette absence de dimension épique par des retournements de situation nombreux et rapides, mais inégaux dans leur efficacité ; certains frisent la malhonnêteté intellectuelle vis-à-vis du lecteur, d’autres nous offrent de véritables surprises qui, du coup, s’avèrent être d’authentiques réussites dramaturgiques.

On regrettera que, pour réussir ces retournements de situations, l’auteur ait fait de James Bond un personnage qui a toujours un, voire deux coups d’avance sur ses adversaires, anticipant tous les pièges, prévoyant toutes les surprises, dimension qui le rend par trop invulnérable et omnipotent. Du coup, le personnage n’est jamais capturé, jamais blessé, bref, jamais réellement en situation de danger. Par chance, Jeffery Deaver accentue la dimension humaine du personnage dans sa relations aux femmes et révèle ainsi sa fragilité sentimentale. Il apporte également une dimension personnelle au récit en le liant à des aspects intimes de sa vie personnelle comme son enfance et la mort de ses parents.

Après la déception du précédent opus, Le diable l’emporte par Sebastian Faulks, plus un mauvais pastiche réussissant mal à recycler les éléments spécifiques aux canons bondiens qu’une véritable nouvelle aventure littéraire, Carte Blanche se présente comme plutôt réussi malgré certains choix dramaturgiques déroutants.

Jeffery Deaver projette ainsi avec succès le personnage littéraire dans le vingt-et-unième siècle en le modernisant et le rajeunissant.

Remerciements à Flammarion

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