Casino Royale 1954 : Le premier James Bond
Par Clément Feutry
C’est certainement une curiosité : il y a un film de James Bond que presque personne n’a vu. Je l’avais moi même oublié il y a quelques années.
Vous pensiez que Sean Connery était le premier acteur à avoir incarné James Bond ? Détrompez-vous, cet honneur revient en fait à l’américain Barry Nelson. Bien que Nelson ait eu une longue carrière dans le cinéma (vous l’aurez peut-etre vu notamment au début de The Shining, de Stanley Kubrick), il est loin d’être un acteur connu et il aurait probablement été un acteur totalement oublié comme tant d’autres avant lui s’il n’y avait pas eu cette nuit du 21 octobre 1954. Mais que s’est-il passé ce soir-là ? Eh bien figurez-vous que Casino Royale, premier roman de Ian Fleming, a été adapté pour la télévision. Le tout premier James Bond sur un écran donc !
Bon nombre de gens n’apprécient pas ce petit film qui ne ressemble en rien à la franchise que nous connaissons, mais il mérite grandement d’être découvert comme la première tentative d’adapter à l’écran, et en live le personnage de James Bond et a gardé depuis le temps un charme certain.
Nous sommes donc en 1954, Ian Fleming est désireux de transposer le héros qu’il a créé dans son roman Casino Royale (1953) à l’écran. De son côté la chaine télévisée américaine CBS (Columbia Broadcasting System) a pour projet de lancer une nouvelle série télévisée qui serait intitulée Climax! (aussi connue sous le nom de Climax Mystery Theater). Le principe de l’émission est de simplement adapter en un téléfilm d’une heure (filmé en direct) un roman policier (ou autre) différent à chaque épisode. Et pour un téléfilm tourné en live, que l’on pourrait en quelque sorte assimiler à du théâtre, le roman Casino Royale est bien pratique car l’histoire se déroule en grande partie dans un seul endroit, à savoir le casino de Royale-les-Eaux.
À un moment donné, les routes de Ian Fleming et CBS se croisent et la chaine paye 1000$ à Fleming afin d’obtenir les droits pour faire un épisode de Climax! dédié à Casino Royale. Les scénaristes Charles Bennett (qui avait écrit un certain nombre des films d’Hitchcock dans les années 30) et Antony Ellis se mettent par la suite (apparemment assez tardivement) à écrire un scénario et on commence à réunir un casting.
Pour le rôle de James Bond, on pense à un moment à l’acteur Barry Nelson. Cependant l’acteur américain aurait pu ne pas avoir été le premier James Bond s’il n’y avait pas eu Peter Lorre. À cette époque, Nelson n’était plus intéressé de s’imposer les contraintes de la télévision en direct, il était alors en vacances en Jamaïque (un lieu de vacances que James Bond aurait d’ailleurs approuvé). C’est alors que son agent l’a appelé à propos du rôle, mais James Bond n’était pas encore un personnage connu, il était même plutôt un parfait inconnu. En effet, en 1954 seulement deux romans existent (Casino Royale et Vivre et laisser mourir), ils sont publiés au Royaume-Uni et se vendent bien. Cependant nous sommes aux États-Unis, et là-bas Casino Royale vient juste d’être publié pour la première fois, huit mois avant le téléfilm (le 23 mars 1954) et les ventes sont moins importantes (4000 copies seront vendues lors de la première année aux USA, tandis que 4700 copies s’étaient vendus en seulement un mois lors du lancement du roman en Angleterre).
« À cette époque, personne n’avait jamais entendu parler de James Bond… Je me grattais la tête en me demandant comment le jouer. Je n’avais pas lu le livre ou quelque chose de la sorte car il n’était pas bien connu. Le pire dans tout cela c’est que j’ai appris que cela devait être fait en direct. Je pensais en avoir fini avec la télévision en direct. J’essayais d’en sortir, en fait ».
La raison pour laquelle Nelson a décidé d’accepter de revenir à la télévision en direct pour ce téléfilm fut simplement parce que cela lui donnait l’occasion de travailler avec le grand Peter Lorre. Barry Nelson était un grand admirateur du travail de l’acteur et a estimé qu’une occasion de travailler avec lui ne se représenterait peut-être jamais. De plus, c’était aussi l’occasion de travailler avec Linda Christian, qu’il avait connu plus tôt lorsqu’il travaillait pour la MGM.
Sur le plateau, Nelson a ressenti que le personnage de Bond était mal défini et qu’il n’avait aucune personnalité distincte. Il aurait demandé a ce que les dialogues du personnage soient améliorés et Peter Lorre l’aurait soutenu, ainsi certains changements auraient été effectués.
J’étais très mécontent du rôle, je pensais qu’ils l’avaient écrit de manière médiocre. Pas de charme, pas de personnalité ou quoi que ce soit.
Nelson allait donc jouer le rôle de Bond, le casting pour les quatre acteurs principaux était le suivant :
Le téléfilm fut filmé et diffusé en direct sur CBS en temps que troisième épisode de la série Climax! le jeudi 21 octobre 1954 à 20h30 EST (Eastern Standard Time), ce qui avec le décalage horaire, correspond en France au 22 octobre à 2h30 du matin. Le programme était réalisé par William H. Brown et était divisé en trois actes, probablement pour les pauses publicitaires, il durait une heure (dont 10 minutes de publicité). Juste avant de passer à l’écran, Nelson se souvient que les producteurs ont réalisé que l’épisode serait trop long, d’environ trois minutes :
Donc, ils ont coupé trois mots ici, une ligne là, un demi-mot ici, et le script a fini par ressembler à un mauvais tic-tac-toe. Je vous dis que c’était si effrayant que lorsque je suis entré, ma seule pensée était : « Oh, mon Dieu, si seulement je pouvais sortir de cette saloperie ! » Quand certaines personnes sont devenues nerveuses, ils avaient des tics faciaux. Eh bien, moi j’avais un tic au corps. Quelqu’un a dit, « Il essaie d’imiter Bogart ». Je ne cherchais pas à imiter quelqu’un. C’était de la pure peur. Peter Lorre m’a vu trembler et m’a dit : « Redresse-toi Barry, que je puisse te tuer ! ».
Ils faisaient des changements jusqu’à la dernière minute. Il n’y avait rien que vous puissiez faire si quelque chose tournait mal.
Ci-contre un extrait de TV Guide qui annonce Casino Royale. On peut remarquer que le téléfilm était présenté par la Chrysler Corporation.
Après sa diffusion, le Casino Royale 1954 est devenu une pièce oubliée de la « saga » Bond jusqu’à ce que, des années plus tard, un homme nommé Jim Schoenberger achète un cinégramme 16mm du téléfilm (enregistré avec un kinescope qui est un dispositif permettant d’enregistrer sur une pellicule l’image qui apparait sur un moniteur vidéo) sur un marché aux puces, apparemment en 1981.
Selon certains et le magazine Cinéma Retro de Lee Pfeiffer, Schoenberger aurait acheté la version 1954 de Casino Royale sur le marché aux puces en tant qu’une boite de 16mm sans inscription, sans donc savoir ce qu’il y avait sur le cinégramme. Cependant l’auteur de livres bondiens Steven Jay Rubin a une version un peu différente des événements : « la cartouche était étiquetée comme le Casino Royale de 1967. Mais il a regardé le tirage et a vu que c’était en noir et blanc ».
Quoi qu’il en soit, Schoenberger a acheté le cinégramme de Casino Royale Climax!, et les fans allaient bientôt pouvoir (re)découvrir le téléfilm pour la première fois depuis sa diffusion sur CBS il y avait de cela plusieurs décennies (environ 30 ans).
En 1981, Steven Jay Rubin publie son livre The James Bond films: A Behind the Scenes History et organise un weekend James Bond au Playboy Club de Century City. Il décide de diffuser Casino Royale 1954 sur un écran et même d’y inviter Barry Nelson qui a accepté de venir ! « Il était un peu surpris », se souvient Rubin. Ce fut la première fois que le téléfilm eu le droit a une rediffusion « publique ».
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Près de 10 ans plus tard, Casino Royale Climax! est apparemment rediffusé à la télévision pour la première fois le 29 novembre 1992, sur la chaine américaine TBS à l’occasion d’un marathon James Bond pour fêter les 30 ans de la franchise.
Par la suite l’épisode de Climax! est a priori tombé dans le domaine public, et Lee Pfeiffer dit que le cinégramme 16mm a été donné au Museum of Television and Radio de New York. Mais en 1997, Pfeiffer a finalement donné un traitement royal au Casino Royale de 1954, en produisant lui-même une édition collector VHS. « Il y avait deux versions qui circulaient un peu partout. Et j’ai réalisé que j’avais celle avec la fin complète ». Fin qui était jusque là absente de toutes VHS achetables (notamment via des magazines bondiens) ou rediffusions. Donc il a édité « l’Édition Collector » via sa société Spy Guise Entertainment : « j’étais capable de la faire sans trop de frais. Nous avons tourné l’intro dans mon sous-sol ».
Plus récemment Casino Royale 1954 a été inclus en bonus dans l’édition 2002 du DVD de Casino Royale 1967 (sans la vrai fin) et aujourd’hui le téléfilm est trouvable en DVD et même en Blu-Ray ! Il a aussi été rediffusé il y a quelques années sur la chaine américaine EPIX et a même été à un moment regardable sur Netflix. En revanche, le téléfilm n’a malheureusement jamais été diffusé par une chaine française (du moins, à ma connaissance).
Durant les années qui ont suivi la redécouverte du téléfilm en 1981, Barry Nelson est revenu sur la curiosité qu’est Casino Royale 1954 lors de plusieurs interviews. L’occasion pour lui de dire qu’il ignorait notamment que Bond était supposé être un Anglais. L’acteur qui nous a quitté en 2007 estimait que son bref passage dans la saga James Bond était un chapitre curieux, mais non remarquable, de sa longue carrière. Nelson n’aurait pas suivi la saga avec un intérêt particulier durant les années qui ont suivi, bien qu’il ait concédé que Sean Connery était probablement l’acteur qui dépeint le mieux le personnage.
Mon entrée dans le film était vraiment, vraiment drôle et c’était trop mauvais alors que ce n’était pas censé l’être.
Casino Royale était un modeste effort/essaie pour ce qu’il était. Nous ne disposions pas de toutes les choses qu’ils ont dans les films de James Bond. Le téléfilm a été fait en direct à CBS Television City avec un budget d’environ 25 000 $, tandis que les Bond d’aujourd’hui sont faits avec 25 millions de dollars ou plus. Lorsque Connery regarde par-dessus son épaule et voit qu’il a été suivi, il peut juste ajuster sa bague et zzzzzappp! Les méchants sont anéantis et fondus. Je ne pouvais pas avoir une bague comme cela.
Cela avait besoin d’une réécriture, de plus de répétitions et d’un plus gros budget. Cela a été fait à la hâte, la saveur exotique de l’histoire a totalement été perdue et ils ont juste démantelé le personnage. Linda Christian a loupé des répétitions, elle venait juste d’initier son divorce avec Tyrone Power, donc cela n’a pas aidé au niveau du travail d’équipe.
Je faisais une série pour CBS appelée My Favorite Husband et il semblait qu’ils avaient un problème au niveau du casting. Je me trouvais en Jamaïque à l’époque, et ils m’ont passé un appel urgent/pressé, et je suis venu. Je n’avais pas lu le livre, et Bond n’était pas aussi connu qu’aujourd’hui, et j’ai fait du mieux que j’ai pu. Très modestement, moi-même je m’appelle juste 001 et demi.
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=facf6Mfz338]
Barry Nelson n’a jamais d’ailleurs été vraiment reconnu en temps que James Bond par des passants dans la rue :
C’est un peu une nouveauté pour moi d’être le premier. J’ai toujours approché James Bond avec humilité. Sean Connery était 007 et je ne prétends pas être plus que 001. Personne ne m’a jamais arrêté dans la rue en me reconnaissant comme James Bond.
D’ailleurs il y a une anecdote sympathique à ce sujet : l’acteur se rappelle qu’une fois, lui et sa femme Nancy avaient assisté à une petite production de théâtre qui les obligeaient à prendre un ascenseur pour s’y rendre. Deux jeunes hommes et une femme sont entrés l’ascenseur avec eux, l’espace confiné est alors devenu très encombré :
Après une brève remontée, tout s’est arrêté et nous étions coincé entre deux étages. Rien ne s’est ouvert et il n’y avait pas d’endroit où l’air pouvait entrer. Il faisait très chaud… Tout le monde a commencé à un peu paniqué et quelqu’un a dit : « J’aurais aimé que James Bond soit là ! ». Je me suis dit : « si seulement il savait qu’il était là ! ».
Jusque là nous n’avons pas encore parlé du contenu du téléfilm en lui-même. Ci-dessous vous trouverez le Casino Royale de Climax! en « intégralité », en version original. Il n’existe pas de version française doublée, seulement sous-titrée (les sous-titres ne sont pas à 100% fidèles, mais dans l’ensemble ça va). Le téléfilm est très facilement trouvable sur youtube. Dernière précision, ce Casino Royale est en noir et blanc (peut-être était-il en couleur lors de sa diffusion originale (?), mais les seuls enregistrements qui restent sont en noir et blanc).
En version originale sans sous-titres :
https://www.youtube.com/watch?v=0Uy5gunqCAA
Vous avez trouvé la fin un peu brutale ? Normal ce que vous avez vu est la version du film où il manque la vraie fin. En effet, une scène d’environ 2 minutes et 40 secondes a été amputée après que Bond demandait à Valerie d’appeler la police. La voici :
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=_nQRymddW08?feature=oembed&w=640&h=480]
Le Chiffre se relevait de donc de son fauteuil et attrapait Mathis (alors qu’elle partait appeler la police), pour s’en servir comme bouclier humain, en lui mettant une lame de rasoir sous la gorge (lame que Leiter avait mentionné au début du téléfilm). Le Chiffre se lançait alors dans un monologue, demandant à Bond ce qu’il comptait faire maintenant qu’il avait attrapé la fille. James Bond faisait ensuite semblant de perdre connaissance, et alors que Mathis parvenait à se libérer de l’emprise du Chiffre, Bond tirait sur ce dernier qui mourrait en lâchant un « Merci, Mr Bond » en guise de derniers mots. Valerie Mathis allait se réfugier dans les bras de Bond et les deux compères finissaient par s’embrasser. Le présentateur du début, William Lundigan, refaisait une apparition pour faire quelques annonces et la scène se terminait par les crédits de fin qui étaient très légèrement différents de l’autre version (voir notre dossier sur les scènes coupées). C’est cette fameuse fin complète qui fut inclus pour la première fois dans la VHS de Spy Guise et qui est aujourd’hui trouvable sur le Blu-Ray.
Ci-contre une photo d’une session de répétition de cette scène publiée dans TV Guide. (Repérez l’erreur dans le texte…). TV Guide précise aussi (voir ce scan) que l’action se déroule à Monte-Carlo (soit Monaco, une autre erreur ?).
Si je n’ai pas encore réussi à vous donner envie de découvrir cette pépite qu’est Casino Royale 1954 (ou que vous n’avez pas peur des spoils), nous allons maintenant parler du téléfilm en lui-même. Si Barry Nelson n’est pas entièrement satisfait du travail des scénaristes, moi j’ai plutôt tendance à leur tirer mon chapeau !
L’émission Climax! en direct présentait à priori deux gros défis pour les scénaristes : il fallait que l’histoire ait une durée de seulement une cinquantaine de minutes (en comptant les pauses publicitaires) et qu’il n’y ait pas des tonnes de décors (de plus j’imagine qu’il fallait avoir en tête le temps qu’un acteur se rende d’un décor à un autre). Et malgré ces deux grosses contraintes, Antony Ellis et Charles Bennett ont brillamment, et surtout fidèlement, réussi à adapter le roman. Certes il y a eu quelques libertés de prises, mais dans l’ensemble le téléfilm se veut fidèle à l’œuvre de Fleming (même plus que certains films de EON).
L’une des premières libertés prises concerne le personnage principal. Après une intro classe de William Lundigan, le téléfilm s’ouvre sur l’extérieur d’un casino français où ce qui est sans doute le plus mauvais tireur du monde attaque un homme. Cet homme qui reste calme comme si rien ne s’était passé (les mains dans les poches) est James Bond, mais ce n’est pas un agent anglais. Nous sommes à la télévision américaine, ainsi c’est probablement la raison pour laquelle les scénaristes ont transformé James Bond en un américain et non plus un anglais pour ce téléfilm ! L’américanisation du personnage se traduit notamment par le fait qu’il est surnommé « Jimmy », Leiter nous dit même qu’on le surnomme « card sense Jimmy Bond ». Cependant ne nous trompons pas, ce n’est pas Bond qui se surnomme lui-même ainsi mais ce sont les autres personnages qui le font (c’est un peu comme les « Jimbo » et « Jimmy » de Jack Wade de l’ére Brosnan). Le prénom de Bond est cependant bel et bien « James », celui apparait d’ailleurs à quatre reprises : lorsque que le Bond passe un appel téléphonique en disant « This is James Bond », lorsque Valerie Mathis le présente à Le Chiffre, quand Leiter demande qu’on le trouve au téléphone, et durant les crédits de fin.
James Bond un Américain donc ? Pourquoi pas après tout (John Gavin et James Brolin ont bien été considérés par EON) ? James « Jimmy » Bond travaille pour la Combined Intelligence Agency (ce qui forme CIA lorsqu’on y réfléchit, mais ce n’est pas le sigle exact, normalement c’est Central Intelligence Agency). Il ne commande pas de « Vesper Martini » mais plutôt du « Scotch and waters » ; il est également fumeur. En règle général le Bond de Barry Nelson est du genre froid et dur, ce qui se rapproche un peu de la littérature. À aucun moment le matricule 007 n’est mentionné.
Vu que Bond est alors un Américain, Leiter ne peut pas l’être lui aussi. Ainsi les nationalités de Bond et Leiter ont été échangées puisque Leiter devient un anglais dans le téléfilm : « Je suis rattaché à la Station S, service secret Britannique, nous travaillons avec le Deuxième Bureau et votre propre Combined Intelligence Agency de Washington ». Leiter ne s’appelle plus Felix comme dans le roman mais Clarence ! Enfaite Clarence Leiter est un mélange/fusion des personnages littéraires de Felix Leiter et de René Mathis (et si l’on considère aussi que c’est lui qui briefe Bond sur sa mission, il avale aussi le rôle de M).
La toute première James Bond girl qui passa à la télévision se nomme quant à elle Valerie Mathis : il s’agit d’un mélange entre les personnages de Vesper Lynd et de René Mathis. Pas mal de liberté ont été prises pour ce personnage, l’une d’elles visant a établir qu’il s’agit d’une ex-petite amie de Bond. Un choix intelligent vis-à-vis de la contrainte de temps puisque cela permet de zapper tout le long processus du roman où Bond et Vesper tombent petit à petit amoureux (et qui incluait beaucoup de passages à l’extérieur du casino).
Enfin Le Chiffre est un agent soviétique comme dans le roman. Il est joué par Peter Lorre qui a cette voix et ce physique si particulier (ressemblant à un crapaud selon Leiter). À lui tout seul Peter Lorre relève la barre du téléfilm en incarnant un excellent méchant, relativement charismatique et très convaincant (on ne doute pas un seule seconde que ce type pourrait vraiment tuer quelqu’un).
Le scénario du téléfilm suit assez fidèlement celui du roman : Bond doit de gagner au baccara contre Le Chiffre qui est l’agent en chef des Soviétiques dans cette zone (de Leningrad à Paris). Le point faible du Chiffre est le jeu, en effet celui-ci a joué avec l’argent de ses employeurs soviétiques et a perdu 80 millions de francs qu’il essaye maintenant de récupérer en jouant casino. (Dans le roman Le Chiffre perd l’argent de ses employeurs en l’investissant en douce une chaine de bordels français, ses investissements sont presque réduits à néant à cause la loi Marthe Richard qui est votée environ trois mois plus tard).
Casino Royale Climax! inclut également de grandes scènes du roman : Bond qui perd au baccara face à Le Chiffre (comparé au roman c’est Valerie Mathis qui lui fournira des crédits supplémentaires et non Leiter, cependant ceux-ci seront bien apportés à la table dans une enveloppe) et surtout la scène de torture ! Certes elle est différente du roman (où Le Chiffre frappe les parties génitales de Bond avec une tapette à tapis) mais ils ont réussi inclure l’idée ! Rappelez-vous nous sommes en 1954, et bien que je l’ignore, j’imagine que ce n’était si facile que cela de faire une scène de torture à la télévision à cause de la censure (surtout s’il y avait des testicules en jeu). Le Chiffre « stimule » donc les orteils de Bond à l’aide d’une pince pour ce téléfilm.
D’autres bons passages du roman que l’on ne retrouve pas dans l’adaptation de 2006 sont dans cette version de 1954 : Bond qui joue la comédie avec Mathis dans sa chambre en sachant que l’endroit est sur écoute, la canne qui se révèle en fait être une arme à feu et le chèque que Bond cache sous la plaque de sa porte. Malheureusement l’attentat à la bombe ne sera jamais adapté à l’écran… Les scénaristes ont également eu la bonne idée d’inventer une scène où Bond explique les règles du baccara à Leiter, ce qui permet aux spectateurs qui n’y connaissent rien au jeu de pouvoir suivre un peu.
Mais dans tout cela il existe UNE très grosse différence entre ce téléfilm et le roman. Et celle-ci n’est pas des moindres ! En effet l’adaptation de Climax! se termine sur une fin heureuse au lieu d’une fin tragique. Dans le roman Vesper trahit Bond et finit par se suicider, alors que Valerie Mathis finit quant à elle dans les bras de Bond en 1954 comme n’importe quelle Bond Girl principale avant Daniel Craig ! Qui plus est, le téléfilm donne une sorte de sentiment d’accomplissement puisque c’est le héros, Bond lui-même, et non le SMERSH qui tue Le Chiffre. C’est donc un classique « happy end » à l’américaine qui conclut ce téléfilm…
Il existe une rumeur comme quoi suite à un problème/erreur, la caméra serait restée à fixer le cadavre du Chiffre, mort, au lieu de changer de plan et que l’on aurait vu en direct Peter Lorre se révéler pour aller au vestiaire alors qu’il était inconscient que la caméra tournait encore. Cependant cette rumeur est fausse. Quelque chose de très similaire (un acteur qui joue un personnage mort et qui se relève en direct pensant qu’il n’est plus dans le cadre) est toutefois arrivé, mais c’était durant le premier épisode de Climax!, The Long Goodbye avec Tristam Coffin, et non Casino Royale.
Honnêtement ce téléfilm se laisse regarder, et malgré les limitations il y a tout de même suffisamment de décors (extérieur et intérieur du casino, couloir, les chambres de Bond et du Chiffre) pour que l’histoire avance de manière intéressante. Cela ne se remarque peut-être pas vraiment, mais en dehors du moment où Bond met du Chopin à l’intention de ceux qui écoutent, le téléfilm ne contient tout simplement pas de musique ! Le très très peu de musiques (intro, changement d’acte, générique de fin) qu’il y avait était des pistes précédemment enregistrés que Jerry Goldsmith (oui, Jerry Goldsmith) sélectionnait.
Probablement est-il plus facile d’apprécier ce téléfilm pour quelqu’un qui a déjà lu le roman ? En tout cas il est clair que si pour vous un bon James Bond doit obligatoirement avoir des lieux exotiques, charme, gadgets, James Bond Theme, un générique avec des filles nues, un gunbarrel et des courses-poursuites haletantes : Casino Royale Climax! n’est pas n’est clairement pas pour vous.
Casino Royale 1954 est trouvable en DVD sous-titré en français. À ma connaissance il existe deux éditions qui le proposent ainsi, et aucune d’entre elles ne possède la véritable fin ! Personnellement j’ai l’édition l’Âge d’or de la Télévision américaine que je ne recommanderais pas car elle est assez bâclée, les bonus sont d’une qualité discutable et il y quelques erreurs de traduction qui trainent dans les sous-titres. Ceci dit, elle a tout de même le mérite d’inclure les pauses publicitaires d’origine. L’autre édition qui est (apparemment) en VOSTFR serait incluse dans le coffret Callaghan, je ne sais rien de celle-ci (mais j’imagine que c’est la même que l’autre, les deux DVD étant produits par Bach Films).
Quatre ans après la diffusion du téléfilm, durant l’été 1958, CBS demande à Ian Fleming d’écrire quelques épisodes pour une série télévisée basée sur James Bond. Fleming aurait accepté, donné des instructions sur comment Bond devait être porté à l’écran et a écrit environ 13 épisodes avant que le projet ne soit annulé (apparemment par CBS). Fleming puisera plus tard dans ses scénarios inutilisés pour écrire ses nouvelles. La popularité des romans de Bond allait grandir dans les années 60, notamment grâce au président Kennedy, et le premier film produit par Albert Broccoli et Harry Saltzman, Docteur No, vit le jour en 1962.
Et vous alors, que pensez-vous de ce téléfilm de 1954 ?
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=47p90C3IXXA?feature=oembed&w=640&h=360]
Sources : The 007 Dossier (Starlog #75) / 007 Museum (2) / SpyWise / mi6-hq (2) (3) / Snopes / HMSS Weblog / Cinema Retro (n° 6). Dossier préparé par Clément Feutry
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