Bond et la Reine
Bond, la Reine d’Angleterre, les Jeux Olympiques
Quatre minutes. Ce 27 juillet 2012, il n’aura pas fallu plus à l’agent de Sa Très Gracieuse Majesté, le bien nommé, pour rentrer dans l’Histoire. En escortant cinématographiquement, mais tout à fait réellement, Elisabeth II jusqu’au stade olympique de Londres, James Bond/Daniel Craig a passé le Rubicon.
Un taxi londonien arrive dans la Coure de Buckingham Palace, un agent secret reconnu par tous en sort au grand plaisir de l’audience. Que nous réserve ce court-métrage introductif de la Cérémonie d’Ouverture des Jeux Olympiques de Londres ? Rien de moins que, à la surprise générale, la Reine Elizabeth II qui accueille 007 pour une mission particulière, se parachuter au dessus du stade Olympique accueillant la compétition sportive.
Une première au cinéma, et un symbole qui en dit long sur nos cousins britanniques.
Les dessous d’une vidéo
C’est la première fois que la Reine d’Angleterre apparait en personne dans un film, en tant qu’actrice. La Majesté qui donne son titre à Au service secret de sa Majesté n’était en effet jamais apparu qu’en peinture, alors que Bond buvait à sa santé en s’excusant auprès de la Souveraine de quitter son service.
Même si de part sa position, la Reine est patronne des Arts, et intervient régulièrement en soutien à l’industrie cinématographique anglaise, c’est donc aussi une première pour la régente du Commonwealth, James Bond Girl l’espace de quelques minutes.
Une invitation à tourner dans un Bond qui n’était pas gagnée. Mais selon la porte-parole de la Reine, celle-ci a été enchantée qu’on lui propose de tourner, au grand plaisir du réalisateur Danny Boyle, déclarant que la Reine s’est rendue « plus accessible qu’elle ne l’a jamais été. Le cinéaste réaliste par la même occasion son premier tournage d’un film de James Bond.
La courte vidéo est un bijou de mise en scène, traitant avec beaucoup de finesse et d’humour l’aristocratie anglaise mise en scène avec sa musique, les fameux chiens de la Reine eux mêmes acteurs de la vidéo, sans pour autant renoncer ce qui fait le caractère de 007 : son élégance inimitable quand il s’agit de sauter par dessus les gardes canins de la Reine, son sourire en coin, et sa patience limitée pour ce qui est du protocole (qui oserait signaler sa présence en toussotant devant la monarque).
La vidéo n’en reste pas moins respectueuse de la souveraine, pas forcément à l’aise dans le rôle, mais filmée avec beaucoup de dignité malgré l’absurdité de la vidéo. L’ironie, elle, est plutôt dans ce groupe de collégiens manifestement plus intéressés par James Bond dans la coure de Buckingham Palace que par le trône d’Angleterre.
La Reine a d’ailleurs été récompensée pour cette intervention. En effet, à la Cérémonie des BAFTA, elle a reçu un BAFTA honorifique pour son soutien aux Oeuvres de bienfaisance liées au spectacle, et pour avoir été « la plus mémorable des James Bond girls à ce jour ».
Tout un symbole !
Même Eon n’avait pas osé. Jamais, James n’avait sur grand écran croisé Sa Souveraine. Cette image, qui résume à merveille l’esprit des 30ème olympiades, a fait le tour du monde et la Une des médias. Elle est révélatrice et symbolique à plus d’un titre.
D’abord, car elle couronne 50 ans d’une saga planétaire. Celle de James Bond. Saga qui a fait au moins autant pour la notoriété de la Couronne que the Queen elle-même. Avec les Beatles, 007 et « E-II » ont en partage une notoriété qui se dénombre en milliards de personnes. Un terrien sur deux connait leurs visages. Par Sa présence, une première dans un film de fiction, Elisabeth donne caution à Bond. 007 s’en trouve de fait comme anobli. Suprême consécration.
Deux mythes se rencontrent, mais Bond est un personnage de fiction alors que la Reine, elle, est bien réelle… Désormais Bond prend donc pied dans notre réalité. Brouillant ainsi encore plus les cartes de la fiction/réalité, maître mot de la geste bondienne. Il renforce ainsi sa crédibilité. La confrontation n’en est que plus forte.
Autre symbole, et non des moindres : celui d’une « Britannicité » triomphante et ragaillardie, fil conducteur du spectacle. Les JO comme JB sont les manifestations d’une Grande-Bretagne depuis toujours ouverte au cinq continents (qu’elle a peuplé), aux cultures. Mondialisée, elle est conquérante et réussit. De l’autre côté du Channel : une France frileuse, repliée sur elle-même, encalminée par ses idéologies passées et l’inconscience conférées par de hautaines certitudes.
Dernier élément enfin, la culture populaire – si honnie en France – trouve ici ses lettres de noblesse, hissée au rang d’art majeur britannique avec pour porte-drapeaux Mister Bean, les étoiles de la pop… et Bollywood ! Le fait qu’un cinéaste auréolé de succès grands publics se soit vu confié la mise en scène de la cérémonie d’ouverture n’est-il pas en soi révélateur ? Belle leçon d’humilité et coup de boutoir à l’intellectualisme frileux.
Un agent et une reine
Plus prosaïquement, en cette année faste pour le héros et la Reine, les deux institutions communient pour mieux communiquer. Depuis 1962 déjà, la famille royale parraine l’avant-première bondienne « de charité » et l’honore de sa présence. Là encore, l’opération profite aux deux personnalités. La Souveraine rajeunit son image, par un exercice d’autodérision dont seuls les Britanniques ont le secret. Pour son retour sur les écrans, Bond s’offre lui un coup de pub « extra-ordinaire ».
Un autre beau hasard dans cette relation, est que 007 et la Reine ont tous deux commencer leur carrière la même année : en 1952 Elisabeth II monte sur le trône, l’année suivante, un auteur britannique, Ian Fleming, met un point final à un petit roman, Casino Royale, qui aura l’héritage que l’on connait. La Reine est Bond gouvernent donc l’imaginaire britannique depuis tout ce temps.
Les Premières des James Bond sont d’ailleurs connues pour bénéficier à presque toutes les occasions de la présence de la famille royale, qu’il s’agisse du Prince Charles, de Lady Diana, ou de la Reine qui a fait elle même les honneurs de sa présence dernièrement pour Meurs un autre jour (2002) et Casino Royale (2006). Elle a aussi visité elle même la 007 Stage des studios Pinewood en 2007
Cherry on the cake : 007 prend d’assaut le stade avec un parachute aux couleurs de l’Union Jack. Subliminale référence au pré-générique de L’espion qui m’aimait (1977), le plus connu des Bond. La boucle est bouclée.
Par ce fabuleux retournement de l’Histoire dont seules les grandes nations ont le secret, le Grande-Bretagne a réussi à redevenir une puissance de premier plan le temps d’une soirée. En quelques minutes, elle a rappelé comment un minuscule pays sans autre richesse que la détermination de son peuple d’éleveurs avait façonné un monde à sa mesure. En revisitant ses glorieuses années, elle fait oublier ses propres turpitudes et la crise mondiale. Et rappelle au passage combien le monde contemporain doit à la société et la culture britannique. Ces références, universelles et « mémorables » sont indéniables. Cela ne vous rappelle personne ? Son nom est…
Espérons que ce ne sera pas la dernière fois que Bond croisera la tête couronnée du pays. A l’occasion de son 90e anniversaire, Daniel Craig a remis le smoking de 007 pour chanter à la Reine un Happy Birthday, on ne peut plus bondien.
https://www.youtube.com/watch?v=0Ds1O4tKUSY