Daniel Kleinman, profession « title designer »
En digne successeur de Maurice Binder, Daniel Kleinman a marqué de son empreinte visuelle la décennie Brosnan. Bien que dans la veine de Maurice, ses génériques s’illustrent par une forte scénarisation et une sophistication glamour. Ils sont incontestablement l’un des symboles esthétiques de la décennie, qui colle le plus à l’esprit de la saga d’alors : un James Bond renouvelé mais fidèle à sa légende…
Par Laurent Perriot
L’irruption de Daniel Kleinman dans monde de James Bond remonte à 1989. Contacté pour réaliser le vidéoclip promotionnel de la chanson de Gladys Knight « Licence To Kill« , il se démarque d’emblée. Tout en privilégiant le langage visuel initié par Maurice Binder, il incorpore des effets spéciaux digitaux pour présenter un clip élégant et novateur. Ses techniques sont nouvelles : la technologie vidéo, le montage numérique et de la retouche digitale. Elles deviendront sa marque de fabrique Bondienne.
Après la sortie de Permis de Tuer, Bond est mis en retraite forcée durant six années.
Quand James revient enfin sur le grand écran en 1995 : c’est avec un nouveau regard et une nouvelle équipe. Beaucoup des techniciens et designers originaux ne sont plus de ce monde ou ont passé la main. Maurice Binder est décédé en 1991. Kleinman s’impose pour lui succéder comme créateur et réalisateur des génériques.
D’abord, Kleinman re-filme la fameuse séquence du « gunbarrel » avec Pierce Brosnan. Il en améliore et modernise l’impact en utilisant des effets digitaux, qui donnent plus de profondeur et une qualité tridimensionnelle qui fait défaut aux versions précédentes de Binder.
À la différence de son illustre prédécesseur très instinctif, Kleinman fait une utilisation intensive de story-boards et de croquis conceptuels avant de tourner les plans du générique. Il est intéressant de comparer certains de ses croquis aux plans définitifs. Si GoldenEye rend un bel hommage au travail de Maurice Binder, Kleinman le marque de son empreinte en apportant une modernité visuelle et un langage très novateurs.
Outre les girls dénudées, rappel du monde de Binder (passé), il choisit de mêler beaucoup d’éléments sous-jacents au scénario de GoldenEye. Il a recours aux icônes familières de l’Union Soviétique pour illustrer la chute du communisme : marteau et faucille, statues de Lénine et portraits de Staline, drapeaux rouges… La séquence entière est d’abord story-bordée une première fois, pour visualiser les divers éléments… Certains sont finalement changés ou supprimés. Une première version est filmée en combinant éléments réels et effets digitaux, avant d’être chronométrée pour coller à la chanson titre.
Les premiers croquis mettent plus en évidence James Bond : dans la version finale seulement une petite silhouette le représente. Pierce Brosnan ne sera d’ailleurs utilisé dans les séquences génériques qu’à partir de Le Monde ne suffit pas, en 1999.
Le résultat obtenu résume parfaitement la « nouvelle donne » du monde de James Bond et introduit habilement des éléments qui seront développés plus tard dans le film. Par exemple, Janus, le dieu ambivalent aux deux visages de la mythologie romaine, apparaît dans le générique, bien avant qu’il y soit fait référence, beaucoup plus tard, dans le film.
Mais surtout, prenant place entre le pré-générique et le film, la séquence du générique n’est plus « gratuite » : elle introduit une rupture temporelle. Ce qui se passe avant, se situe avant la chute du Mur ; ce qui se passe après, se déroule de nos jours.
Le générique de GoldenEye est très différent de ceux de Maurice Binder et de Robert Brownjohn mais leur rend un bel hommage par l’utilisation d’éléments visuels classiques et immuables de l’univers visuel de James Bond. Le générique se termine par un travelling arrière : nous sommes littéralement éjectés hors du « gunbarrel » pour être projetés directement dans la scène de poursuite de voiture avec l’Aston Martin.
Surréalisme et technologie
C’est l’utilisation de la technologie digitale qui bouleverse l’ordre des choses établies dans la série. Elle est ici inventive, au service du spectaculaire et du beau. GoldenEye est sans doute le générique le plus parfaitement réalisé de tous ceux de Kleinman. Certaines des images – les pistolets flottants et les filles dansantes – pourraient avoir étés peintes par Salvador Dali.
Pour Demain ne meurt jamais, Daniel Kleinman revient avec un générique et un style différents. GoldenEye comportait une image et une symbolique surréalistes. Bien que retravaillés numériquement, Demain ne meurt jamais utilise beaucoup plus d’éléments réels afin d’être en phase avec la trame du film.
Le thème high-tech de l’histoire est habilement introduit par Kleinman, qui utilise des images de pistolets passés aux rayons X et des silhouettes de femmes qui se transforment en ombre digitalisées.
La séquence débute par l’écran qui explose, soufflé par les flammes du réacteur du jet de James Bond. Le tout se prolonge dans une abondance frénétique d’images qui ralentissent au rythme de la chanson titre. Le thème « technologique » du film est abordé via le générique. Au cœur de l’intrigue : les médias. Notre vison, manipulée, peut ne pas percevoir la réalité, cqfd. Une phrase dans le film, finalement coupée au montage, se rapporte aux satellites de Carver semblables à des diamants en orbite autour de la Terre. Une image y fait également référence dans le générique, aux milieux d’écrans de TV et d’autres médias numériques, rappelant au passage le générique des Diamants sont éternels.
Le Monde ne suffit pas repousse encore les limites de l’imagerie numérique et du surréalisme. Pierce Brosnan est littéralement happé dans le générique, comme Roger Moore avant lui dans L’Espion qui m’aimait. 007 se transforme en gouttes de pétrole, quête du film, qui donnent naissance à de superbes créatures… qui se désintègrent peu à peu au rythme de la musique. La thématique du pétrole : puits et flammes défilent. Les lentes silhouettes dénudées ne sont pas sans rappeler celles de Binder en établissant, une fois encore, un lien avec l’imagerie classique de James Bond. Le Monde ne suffit pas est sans doute le plus proche du travail original du Maître.
Pour le 20e Bond et le 40e anniversaire du héros, Meurs un autre jour, Daniel Kleinman (maintenant crédité comme Danny) offre du nouveau, tout en respectant les règles établies précédemment.
Pour la première fois, le générique prolonge le récit du film, un peu à la manière de GoldenEye. Les scènes de torture de Bond sont perçues en arrière-plan, se reflètant dans des gouttes d’eau ou des projections en fusion de métal cristallisé. Kleinman utilise bien plus d’effets digitaux que par le passé, mais les intègre si judicieusement avec l’action qu’il est difficile de les différencier. Le générique nous transporte habilement au cœur de l’intrigue pour se conclure abruptement. Kleinman instaure une ambiance sombre. La seule véritable couleur est conférée par les effets de feu ajoutés qui contrastent avec la glace et les scorpions des scènes de torture.
Plus de dureté dans l’image, de froideur aussi, plus de souffrance perceptible pour Bond : Meurs un autre jour est (et se veut) en rupture avec le reste la série. Avant Casino Royale, et tout en étant truffé de référence à la mythologie des 19 films précédents, il ouvre déjà une ère nouvelle…
Pour les 40 ans de James Bond et les adieux prématurés de Pierce Brosnan dans le rôle (qui l’eût cru ?), le « gunbarrel » est amélioré d’un effet supplémentaire : une balle surgit du canon pour faire face aux spectateurs et atterrir dans le canon de l’arme pointée sur 007, donnant ainsi une intensité nouvelle à « la » fameuse séquence d’introduction.
Dans Casino Royale, nouveau James oblige, Kleinman bouleversera encore son style, démontrant l’étendue de son talent et de sa créativité. Mais c’est une autre histoire… Bond is forever !