Les affiches bondiennes

Les affiches bondiennes

affichesMystérieuses, aguichantes, exotiques, expression du chaos ou de la beauté, les affiches bondiennes sont la quintessence de l’art pictural cinématographique. Ses artisans de l’ombre soigneusement sélectionnés par les studios sont des designers au trait de crayon réaliste et percutant, venus bien souvent de la publicité. Méconnus du grand public, Franck Mc Carthy, Bob Peak, Daniel Gouzee n’en sont pas moins des artistes accomplis. D’emblée, ils sont parvenus à capter l’essence même de 007 et de son univers luxuriant.

binder
Maurice Binder

Au départ, l’esthétique bondienne est le fait de deux hommes, deux designers attachés à la publicité : Maurice Binder et Robert Browjohn. Le premier conçoit le gunbarrel puis, plus tard, les génériques ; le second imagine projeter la titraille et les crédits du film sur le corps doré d’une danseuse orientale. Il conçoit aussi les affiches américaines qui en découlent… Ces premiers films, auquel il faut inclure la conception du gun logo symbol, posent les bases de l’univers esthétique du héros reconnaissable entre tous. Les aventures suivantes ne seront que la déclinaison voire l’extrapolation de ces idées simples, mais d’une nouveauté absolue dans au début des années 60.

Robert Brownjohn
Robert Brownjohn

Nombre de visuels bondiens font désormais partie de la culture populaire mondiale. Au même titre que les images de Terence Young, les répliques de Richard Maibaum, les musiques de John Barry, les décors de Ken Adam, la pose de Sean Connery devant le photographe Eric Pulford pour Dr No, le gunbarrel et les génériques de Maurice Binder ou la golden girl de Robert Browjohn « sont » Bond.

Pourtant rien de prémédité. Aux origines, la composition des visuels et l’ordonnancement de la campagne publicitaire ont tout de l’artisanat, comme en témoigne David Chasman qui contribua aux campagnes des premiers films :

« Au début et vers le milieu des années 60, la télévision était un outil publicitaire assez mineur ; tout passait par la publicité imprimée et on travaillait avec des moyens assez simples. Nous avons introduit plusieurs innovations, comme lire le script avant le tournage pour avoir une idée de ce que nous voulions photographier dans le cadre de la campagne de pub. Avec Bond, c’était de toute évidence le glamour, les paysages exotiques et les superbes créatures féminines. Les agences de pub avaient des idées, les producteurs en avaient aussi, j’apportais des concepts, et ainsi de suite. Il est impossible d’attribuer une pub donnée à une seule personne : c’était vraiment du travail de groupe ».

Aff1Tout débute donc par une série de clichés des comédiens, « on » ou « backstage », et la lecture du scénario : premières sources d’inspiration des dessinateurs. Photographes, publicistes, dessinateurs, services marketing contribuent ensuite de concert à la composition. Suivent des dizaines d’esquisses : le choix final appartient au studio distributeur et à Eon productions.

Des affiches qui évoluent

Première révolution aux détours des années 60, avec l’introduction d’éléments photographiques. En France, aux grands formats en couleur (120×160 cm), qui font l’objet d’une œuvre originale, les distributeurs adjoignent des affiches de petite taille (80×60 cm) composées à partir de clichés en noir et blanc.

Si les toutes premières affiches sont en sérigraphie, la lithographie puis l’offset lui succèdent rapidement. Parallèlement, la photo fait irruption. Peu à peu les process se rationnalisent.

aff2Pour James Bond, les premières traces de standardisation surviennent au l’orée des années 70. Les diamants sont éternels et plus encore Vivre et laisser mourir sonnent le glas de la différenciation visuelle. Les éléments communs à toutes les affiches se multiplient. Connery puis Moore entourés de girls se retrouvent dans les mêmes poses de l’Amérique du Nord à l’Espagne, du Chili à la Suède.

Pis encore, Vivre et laisser mourir et L’Homme au pistolet d’or mettent en scène la même silhouette Moorienne, au milieu d’un ordonnancement identique de girls, de méchants et de scènes d’action. Les canons (et l’affadissement scénaristique ?) de la « Bond formula » s’inscrivent dans son imagerie.

Dès lors, les affiches se standardisent pour être produites en plus grande quantité selon des procédés d’imprimerie industrialisés.

Cette évolution coïncide avec l’arrivée de Timothy Dalton dans la saga en 1987. L’affiche britannique de The Living Daylights (Tuer n’est pas jouer) est la dernière « dessinée », tandis que ses versions internationales sont les premières à introduire la photographie. Permis de Tuer confirme cette orientation par un visuel très peu bondien où, en prime, pour la première fois, 007 délaisse son smoking et la pose traditionnelle. Le visuel est le reflet de cette aventure et préfigure le box office : Bond n’est plus dans Bond, le héros s’est banalisé. Dès lors, la photographie sera la seule composante des affiches. Les photographes, les graphistes et les maquettistes cèdent la place aux illustrateurs.

Quand les ingrédients changent

aff3Par sa longévité unique, la saga bondienne est un témoignage vivant de ces bouleversements techniques et marketing. Mais aussi et surtout de l’évolution de nos sociétés. Bond est un marqueur culturel qui fixe sur papier, au gré des continents et des époques, les censures, l’exotisme, les objets de plaisir. Depuis les bikinis des bongirls rhabillées de Dr No jusqu’à la censure du pourtant chaste postérieur de Rien que pour vos yeux, en passant par les jambes dévoilées d’Octopussy ou les muscles et la gorge de Grace Jones dans Dangereusement vôtre.

Gun, girls, bolides et scènes d’action sont les identifiants du monde bondien. Longtemps, l’affiche de quelque partie du monde qu’elle soit les reprend, c’est la « bond touch ». L’unité dans la diversité en somme.

Aujourd’hui, pour faire vendre les affiches sont allusives et épurées, jusqu’à adopter des chartes graphiques et des titrailles identiques. L’ère Dalton avait inauguré le « nos sex » et la (bond)girl friend unique… Le politiquement correct a tôt fait d’évacuer ce qu’il reste de créativité. Bond n’y échappe pas. Depuis le début de l’ère Craig, les identifiants du monde bondien ont désertés. Costume sombre, solitude, mine taciturne, les temps sont rudes.

Le marketing mondialisé

La mondialisation a raison de la créativité propre à la culture de chaque pays. Les éléments graphiques sont transposés d’un pays à l’autre sous contrôle d’Eon et du studio, garants de la continuité du mythe. Pourtant des facteurs de différenciation subsistent. Dès les années 60-70, les posters italiens sont par exemple nettement plus sexy que ceux d’Amérique du Nord. Les Japonais demeurent les adeptes de composition de photomontage et de l’originalité… Pour Bond, le choix qui préside aux visuels, à l’utilisation de la télévision ou du Net tient encore à la culture de chaque pays. Et désormais, les acteurs, Pierce Brosnan et Daniel Craig en l’occurrence (et surtout leurs agents), ont leur mot à dire.

Passées toutes ces épreuves, reste la plus terrible : le marketing. Comme sa bande-annonce et son titre, une affiche de film est codée et testée : soumise à des panels de consommateurs en moyenne quatre mois avant la sortie. La part de création artistique se trouve de fait réduite à la portion congrue, comme le confirme Anne Bennett, qui fut en charge de marketing chez Eon jusqu’en 2008 : « Pour Meurs un autre jour, nous voulions abandonner l’image de Bond entouré de femmes. Nous avons étudié des centaines de concepts. Nous avons fait des séances de photo spéciales. Aux USA, ils ont mis sur pied une campagne télé assez lourde. Dans d’autres pays, les affiches sont plus importantes. Pour la Japon, nous avons trouvé à New York un jeune concepteur qui a imaginé un look destiné au jeune public, et l’image du film s’en est trouvée améliorée ». L’objectif ultime n’est-il pas d’atteindre la cible et de persuader les spectateurs de venir en salles ?

Depuis 50 ans, Bond a survécu aux modes et aux passions fugaces. Mais l’économie du cinéma pourrait avoir raison de son exubérance visuelle. Les experts du 7ème art prédisent qu’il n’y aura plus d’affiches d’ici cinq ans. La pellicule a déjà disparue… Alors demain des affiches numériques, déclinées pour les ordinateurs et les « smartphone » ? Les panneaux Decaux ont déjà ouverts la voie dans le métro parisien et des plus grandes villes… Le papier serait réservé à des produits collectors ou d’exception. Comme l’affiche d’un certain cinquantenaire…

Sources :  NOURMAND, Tony, The Official 007 Collection James Bond Movie Poster, Boxtree, 2001. BOUZEREAU, Laurent, James Bond, l’art d’une legend : du story board au grand écran, Flammarion, 2006.

« YOU KNOW THE NUMBER »

007 evolutionEmblème déposé et protégé, le gun logo symbol est « la » marque de 007. Il fut créé en 1961 par Joseph Caroff. C’est en découvrant la forme d’un Beretta exposé dans une bibliothèque de son quartier que l’idée vînt au designer : prolonger le « 7 » de 007 en un canon de revolver, le pied du chiffre constituant la crosse de l’arme. Mandaté par United Artists pour imaginer l’univers graphique du dossier de presse de Dr No, Caroff introduisit sa trouvaille. Adopté rapidement par le public, dès lors, avec la sortie de From Russia With Love, il fut utilisé comme base créative du poster britannique du film. Remanié et modernisé dans les années 70, 80 puis 2000, adapté à la titraille de chaque film, le symbole du héros a survécu au temps. Il est désormais reconnu dans le monde entier.


Le top 007 des meilleures taglines

001 – It’s the biggest. It’s the Best. It’s Bond, and beyond

002 – Everything Bond touches turns to excitement

003 – Look up ! Look out ! Look down ! James Bond does it everywhere

004 – You only live twice, twice is the only way to live !

005 – Where all the other Bonds end…this one begins!

006 – Nobody does it better…thirteen times / James Bond’s all time high

007 – No limits. No fears. No substitutes.


Les Designers des affiches

Donald E. Smolen. Boris Grinsson : Dr No, Bons baisers de Russie. Jean Mascii : Goldfinger (France). Yves Thos : OHMSS, Festival James Bond (France). Franck Mc Carthy : Thunderball, You Only Live Twice, On Her Majesty’s Secret Service. Robert Mc Ginnis : Thunderball, Diamonds Are Forever, Live And Let Die, The Man With The Golden Gun. Bob Peak : The Spy Who Loved Me. Renato Casaro : Octopussy, Never Say Never Again. Dan Gouzee : Moonraker, A View To A Kill. Bryan Bysouth / Keith Hampshire : The Living Daylights. Jim McCrary / Jeffrey Bacon: The Living Daylights. Tony Synegar, Keith Hampshire & Douglas Kirkland : Licence To Kill. Diane Reynolds : The Wolrd Is Not Enough

 

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