MOURIR PEUT ATTENDRE : Permis de doubler
Assister au doublage d’un Bond est toujours un événement rare. Mais l’expérience peut s’avérer frustrante lorsque vous êtes convié en studio mais que vous ne pouvez pas assister au travail des comédiens. Et c’est bien ce qui s’est passé au moment de l’enregistrement du 2e film-annonce de Mourir peut attendre.
Par François Justamand
Extrait des articles du Le Bond 57 et des futurs Le Bond 2021 spécial No Time To Die.
Tout a commencé avec le visionnage du premier film-annonce (teaser) de Mourir peut attendre dans les locaux d’Universal, près des Champs-Elysées. Après avoir visionné et comparé entre la VO et la VF, nous avons remarqué que l’appellation « commander Bond » avait été traduite par erreur par « commandant Bond ». Nous l’avons aussitôt fait savoir aux décideurs présents et l’information est remontée jusqu’à Pierre Arson, l’auteur de la version française. Après quelques échanges constructifs avec Pierre (en charge de l’adaptation VF des Bond depuis Quantum of Solace), nous avons eu la certitude que la traduction du grade de notre agent secret préféré serait respectée dans le film à venir.
De fil en aiguille, nous nous sommes dit, pourquoi ne pas faire un reportage sur le doublage du film, ou à défaut sur le deuxième film-annonce (trailer) ? Grâce aux excellentes relations que le Club James Bond entretient avec les dirigeants d’Universal, nous avons été mis en contact avec Myriam Peyre, directrice technique d’Universal, qui nous a autorisés à nous rendre en studio pour rencontrer toute l’équipe du doublage de ce Bond très attendu.
http://https://www.youtube.com/watch?v=sUHaVNVRCoY&t=65s
Les plus anciens membres se rappellent peut-être qu’avec l’ancien Club 007, nous nous étions rendus sur les plateaux de doublage de Demain ne meurt jamais et du Monde ne suffit pas. Cela fait maintenant plus de 20 ans, et les conditions d’accessibilité au doublage des films importants ont bien changé. En effet, la crainte du piratage est omniprésente désormais. Fini de voir les comédiens français jouer devant les images et la bande rythmo. On ne peut même plus entrer dans l’auditorium ou s’enregistrent les quelques minutes de cette bande-annonce (qui sera visible en salles 3 semaines plus tard). Non seulement, on ne peut pas assister à l’enregistrement mais en plus on nous fait signer un « Non Disclosure Agreement » (accord de non divulgation) estampillé 007 – B25 Limited. Ce document en anglais de deux pages stipule que vous ne devez pas communiquer sur ce que vous verrez sur le film sous peine de poursuite devant les tribunaux anglais ! Cela tombe bien, car nous ne verrons rien… Mais cela ne s’arrête pas là car cela serait trop simple. Nous avons l’autorisation d’interviewer certains comédiens (sauf celui qui double Safin du fait du grand mystère qui entoure ce personnage) et le directeur artistique mais en présence de Myriam ou de Robin Fage, le chargé de production du studio de doublage, qui veillent à ce que les comédiens ne parlent pas des scènes du film-annonce.
Lors des deux demi-journées (18 et 20 février) passées à Cinéphase, le studio de doublage en banlieue parisienne, nous avons eu le grand plaisir d’interviewer Yoann Sover (Q), Eric Herson-Macarel (Bond), Christian Gonon (Blofeld) et Michel Derain (Le directeur artistique). Nous avons aussi croisé Deborah Claude (Nomi) et Daniela Labbé Cabrera (Paloma) que nous avons interviewées par mails quelques jours plus tard.
Daniela Labbé Cabrera (Paloma)
Dans ce film, vous doublez PALOMA, un agent double-zéro. Que savez-vous d’elle ?
Pas grand chose encore.
Aimez-vous les films de James Bond ?
Oui beaucoup.
Avez-vous un film ou un acteur préféré dans le rôle ?:
J’ai un faible pour Sean Connery …et particulièrement dans Dr No et On ne vit que deux fois.
Avez-vous une autre actualité ?
Je viens de co-écrire et de co-mettre en scène avec Aurélie Leroux un spectacle qui est en tournée en Mars au Théâtre de la Cité -CDN Toulouse Occitanie. La pièce s’appelle « Lao ( J’en rêve, viens me chercher) » , c’est une pièce qui est née d’une enquête documentaire que nous avons mené sur l’histoire d’une veille femme exilée. J’espère que cette pièce aura une longue vie.
Deborah Claude (Nomi)
Comment êtes-vous arrivée sur ce James Bond ?
Ah ! Grâce à un café et une bonne étoile ! (rires !) J’étais en studio et je suis tombée sur un ami comédien avec qui j’avais tourné quelques années auparavant. On ne s’était pas vu depuis 4ans. On avait un peu de temps après notre plateau alors on s’est pris un café dans la cour du studio, et on s’est mis à discuter. Quelques minutes après, une dame s’est approchée de nous, me demandant si j avais un CV (que je n’avais pas sur moi) et se présentant en tant que directrice artistique. C’était Beatrice Delfe que je ne connaissais pas. Alors je lui ai donné mon numéro et un site où elle pouvait ecouter ma bande démo. Quelques jours apès, je suis contactée par Michel Derain, que je ne connaissais pas non plus, et il m’a demandé si je suis disponible pour faire des essais pour un film. Je me suis rendue aux essais et j’ai compris que c’était Beatrice qui lui avait parlé de moi,en m’ayant entendue dans la cour. Et ces essais etaient pour le prochain James Bond… Donc je me suis retrouvée sur ce James Bond grâce à un café et une bonne étoile !
Dans ce film, vous doublez Nomi, un agent double-zéro. Que savez-vous d’elle ?
Euh…Qu’elle s appelle Nomi et que c’est un agent double zéro (rires !)
Christian Gonon (Blofeld)
Christian Gonon, savez-vous pourquoi on a pensé à vous sur le rôle de Blofeld ?
Car je n’étais pas cher (rires!) Non, je plaisante. En fait, je l’avais déjà doublé dans quelques films avant : De l’eau pour les éléphants, Big Eyes… Je ne souviens plus si j’avais passé des essais, je ne pense pas. Michel (Derain) m’avait dit qu’ils avaient pensé que Waltz aurait pu se doubler en français car il est trilingue. D’ailleurs, dans Inglorious Bastards il se double lui-même. Pour le Bond, il n’était pas disponible et ils ont fait appel à moi. J’ai donc doublé mon premier James Bond, un rêve de gosse de jouer un méchant, avec en plus un acteur magnifique. Pas évident à attraper car il a une folie dans l’œil. Quand il sur-articule, il mâche tous ses mots quand on le voit à l’écran. Ce qui n’est simple ensuite en français pour retrouver ses appuis-là de jeu puisqu’il associe son œil avec un certain phrasé un peu décalé. Il est assez extraordinaire. C’est toujours plus facile de prêter sa voix à un bon acteur que le contraire. Blofeld est un toxique avec du charme. Il faut restituer le danger toujours avec le sourire. Il y a toujours quelque chose qui peut se passer. Pour moi les films-annonces sont difficiles à doubler car je n’ai pas vu le film. Personne ne l’a vu. Il faut faire avec ce que l’on sait du personnage dans le film précédent. Ce sont des phrases courtes extraites de leur contexte. C’est du travail !
Appréciez-vous les films de James Bond ?
Oui mais je ne suis pas un bondophile averti. J’aimais beaucoup Sean Connery, c’est plus de mon enfance. J’aimais bien aussi Roger Moore, il y avait un second degré. Il s’en sortait toujours, avec un côté Amicalement Vôtre. J’ai bien aimé Pierce Brosnan. Les scenarii des films avec Daniel Craig sont forts depuis Casino Royale. La violence a changé. Quand Bond se fait torturer dans Casino Royale, on va loin…
Eric Herson-Macarel (Bond)
Vous doublez Daniel Craig depuis Casino Royale. Savez-vous pourquoi les décideurs ont pensé à vous ?
Je ne sais pas du tout… Depuis, on m’a dit que vocalement, cela correspondait plutôt bien. Et que même physiquement, avec quelques muscles en moins, il y avait un petit air de ressemblance. Nous sommes tous deux de type celtique. C’est peut-être cela qui a donné l’idée à Michel Derain (le directeur artistique des Bond avec Craig) de me convoquer pour les essais. Il a été bien inspiré je trouve (rires).
Depuis 2006, dans les Bond, il y a eu plusieurs acteurs français ou francophones. Je pense à Eva Green, Olga Kurylenko, Mathieu Amaric, Bérénice Marlohe, Monica Bellucci et Léa Seydoux. Avez-vous doublé avec eux ?
J’ai eu le plaisir de travailler à la barre (de synchro) avec Monica Bellucci. Les autres, pour diverses raisons qui leur appartiennent ont signifié qu’ils préféraient s’enregistrer à part.
Pouvez nous dire comment cela s’est passé la collaboration avec elle ?
C’est quelqu’un d’absolument charmant, qui n’a aucune prétention malgré sa très grande beauté mondialement connue et sa carrière respectable. Mais elle ne s’estime pas elle-même comme une star et donc elle est d’un abord extrêmement agréable et facile et toujours prête à travailler. Pour les scènes que nous avons enregistrées ensemble, elle-même, parfois, elle demandait à les refaire. Elle se tournait toujours vers Michel (Derain) pour s’assurer que tout allait bien. Avec moi, elle a été une vraie partenaire. Cela a été une expérience vraiment très agréable. L’enregistrement avait duré une demi-journée.
Michel Derain (directeur artistique)
Vous êtes en charge du doublage des James Bond depuis « Casino Royale » avec Daniel Craig. Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure ?
A ce moment-là, les Bond étaient distribués par Sony/Columbia. Je travaillais régulièrement pour eux déjà et c’est Nathalie Louis, la directrice technique, qui m’a demandé de le diriger.
Comment procédez-vous pour établir votre distribution des voix françaises ?
Pour le personnage de Bond, nous avons fait des essais avec les comédiens français qui avaient déjà doublé Daniel Craig, qui n’était pas très connu en 2006. Aucun ne convenait tout-à-fait pour ce personnage. J’ai dit à Sony qu’à mon avis, Eric Herson-Macarel conviendrait mieux. Ils m’ont donné le feu vert pour effectuer des essais avec lui et il a été choisi. Et puis ils ont eu une hésitation… parce qu’ils ont appris – sans doute par les réseaux sociaux – qu’il avait doublé le méchant dans le Bond précédent « Meurs un autre jour ». C’était vrai, mais Eric avait doublé bien d’autres acteurs depuis. Et c’était une nouvelle série de Bond, avec un autre acteur. On passait à autre chose et ce serait oublié très vite. Ils ont contacté les décideurs du bureau de Londres, qui ont donné leur accord.
En ce qui concerne le choix des comédiens, de façon générale, je les choisis au feeling. J’ai besoin de ressentir les choses. Ce n’est pas que la voix, c’est la personnalité du comédien. J’ai remarqué que souvent je fais des distributions sur des détails totalement annexes, c’est drôle. Je suis attentif aux gens dans la vie. Je suis attentif aux comédiens dans la vie, lorsqu’ils ne jouent pas, lorsqu’ils discutent entre eux, et c’est là que je perçois le mieux leur personnalité.
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