Quantum of Solace : les interviews
Quelques jours avant la sortie de Quantum of Solace, Daniel Craig, Marc Forster, le réalisateur, Barbara Broccoli et Michael Wilson, producteurs, avaient accordés au Club James Bond France des entretiens exclusifs. Morceaux choisis…
Le Bond : Quelles ont été vos sources d’inspiration pour la réalisation de Quantum of Solace ?
Marc Forster : Je suis revenu aux raisons pour lesquelles j’aimais les Bond, les anciens films, ceux où les décors étaient dessinés par Ken Adam. Je voulais un mélange de look retro et de look futuriste. J’ai fait référence à La Mort aux trousses d’Hitchcock, en particulier dans la manière dont se déroule la scène de l’opéra en Autriche. Autre référence : The Parallax View [d’Alan J. Pakula, ndlr.], dans la manière de filmer l’histoire avec mon directeur de la photographie. Et également des évocations de French Connection.
Le Bond : Daniel, comment avez-vous abordé ce deuxième film, après la douche froide que vous avez subi lors de votre casting, puis le grand succès de Casino Royale ?
Daniel Craig : Durant cette folie autour de Casino Royale, je ne m’attachais qu’à une chose : un bon réalisateur, un bon scénario, une bonne équipe. Ces stupidités couraient sur Internet [cf. notre article Daniel Craig Licence to Thrill, ndlr], mais je savais que nous faisions un bon film. C’est la seule chose qui avait de la valeur à mes yeux. Quant à Quantum of Solace, tout a commencé avec cette idée qui peut paraître cynique de faire une suite directe à Casino Royale. Nous avions commencé quelque chose… Il restait à explorer le personnage. Je m’estimais déjà très chanceux du succès du précédent, et voilà que Marc dirige le suivant : je suis un acteur heureux ! Pour ce qui est d’incarner James Bond, je commence à comprendre le personnage ! (rires)
Ce que j’aimerais, c’est laisser un héritage.
Marc Forster : Daniel est très modeste. Au début, il y avait un script dont je ne me sentais pas proche. Pendant que je faisais la promotion de mon dernier film, j’ai reçu un scénario de Paul Haggis qui m’a dit « Bonne chance ! ». Nous nous sommes retrouvés à collaborer étroitement avec Daniel, qui comprend aussi bien le personnage que l’art du cinéma. Nous avions des goûts communs. Sa participation a été ma chance. Je suis très content du produit fini. Mais cela tient du miracle aussi, car j’avais commencé un film sans que le scénario ne soit achevé ! Il évoluait sur le plateau. Grâce à l’intuition de Daniel, nous avons porté le film à un niveau supérieur.
Daniel Craig : Nous avons immédiatement été sur la même longueur d’onde. Il était crucial que l’on se réfère au passé. Dans les années soixante, les premiers films ont donné le ton. Saltzman et Broccoli [les producteurs historiques des Bond, ndlr.] tournaient vraiment dans des divers endroits du monde. Ils ne faisaient pas semblant, ils y allaient. C’était essentiel pour moi. Marc avait très envie de faire cela aussi. Les lieux de tournage font vraiment partie des sensations tant ils apportent au film.
Marc Forster : J’ai toujours pensé que les lieux de tournage avaient une âme. Qu’ils étaient des personnages à part entière. Ces lieux sont importants dans un Bond, ils font partie de la légende. Ils sont un de mes souvenirs importants des premiers films. Je voulais aussi absolument que l’on découvre des lieux jamais vus auparavant.
Grâce à l’intuition de Daniel, nous avons porté le film à un niveau supérieur.
Le Bond : Avez-vous lu les romans de Ian Fleming ?
Marc Forster : Deux, Casino Royale et Bons baisers de Russie. Puis, j’ai lu la nouvelle Quantum of Solace. Rien à voir avec le film, mais il y a un joli paragraphe où Bond évoque les relations humaines et emploie cette expression qui donne son titre à la nouvelle et au film.
Daniel Craig : Avec ce titre, le sujet du film est devenu clair. Les relations entre les personnages ont été mieux définies. La loyauté, l’amour, à qui faire confiance… Ces choses étaient importantes. Mais ce qui ressort de ce film, c’est le sentiment d’achèvement. Cette quote-part de chaleur humaine, c’est ce que Bond ressent au terme du film. Fleming a une approche lyrique dans le choix des mots. C’est ce qui rend ce titre particulièrement bondien.
Le Bond : Qu’est-ce que cela provoque-t-il de participer à une saga connue dans le monde entier ?
Marc Forster : Barbara (Broccoli) m’a dit : « Tu es le plus jeune réalisateur, le seul qui ne vient pas du Commonwealth ». C’est déjà une grande de pression (rires). Il ne faut pas penser à cela. Cela n’a pas d’importance. J’ai juste essayé de faire le meilleur film possible. Avec le recul, je me sens très chanceux d’avoir pu le faire.
Le Bond : Daniel, quel est votre objectif concernant Bond ?
Daniel Craig : Le succès que nous avons eu avec Casino Royale était fantastique. La réaction des fans a été étonnante et a clos la controverse des débuts. Le film a suscité de nouveaux adeptes. Ce que j’aimerais, c’est laisser un héritage. De nouveaux fans, de nouvelles règles, des opinions fortes (d’amour ou de haine)… Je suis constamment surpris par les réactions du public.
Le Bond : Jusqu’où pensez-vous pouvoir aller avec le personnage de James Bond ?
Daniel Craig : Avec Quantum of Solace, nous bouclons un cycle. Désormais, tout est possible…
Le Bond : Qu’est-ce qui vous a conduit à diriger Quantum of Solace ?
Marc Forster : Quand j’ai eu le coup de fil m’informant que Barbara et Michael souhaitaient me parler, je n’étais donc pas vraiment intéressé. Faire un Bond ne m’enthousiasmait pas. Alors Amy Pascal, la patronne de Sony, m’a appelé et m’a demandé, comme une faveur, de rencontrer Barbara et Michael. Leur passion m’a de suite attiré. J’avais toujours souhaité faire un film d’action, mais en créant ma propre franchise. J’ai revu Mike et Barbara et je leur ai dit : « Dans un monde hypothétique, si je le faisais, est-ce que je pourrais, pour réaliser ma vision du film, faire venir mon équipe technique, mon directeur de la photographie, mon monteur, mon directeur des effets visuels, mon chef décorateur ? » Barbara m’a soutenu.
Le Bond : Y a t-il eu un élément déclencheur ?
Marc Forster : La rencontre avec Daniel. C’est un acteur si bon, si sensible. Sa vision si précise du personnage, c’était la mienne. C’était la clé : les éléments commerciaux étaient là, mais je pouvais l’approcher comme un film d’auteur. Je ne pouvais pas faire un film juste pour satisfaire les fans ou honorer l’aspect commercial de la franchise. Il fallait que ce soit une création artistique que j’aie envie de voir. J’ai cru durant le tournage qu’il y aurait des conflits avec Michael et Barbara, mais ils m’ont soutenu intégralement. C’est très rare à Hollywood. Pour un film avec un tel budget, vous avez pleins d’exécutifs de studios qui s’en mêlent. Eux étaient plus portés sur la confiance dans le réalisateur. J’ai très peu parlé avec le studio. J’ai eu les discussions créatives avec eux. Cela a été très enrichissant.
Le Bond : Avez-vous été influencés par les attentes ou les préjugés des spectateurs ?
Daniel Craig : On ne peut se permettre de laisser cela rentrer en ligne de compte. Ca tuerait tout travail de collaboration. Dès que vous commencez le tournage, c’est comme un train qui est lancé, vous ne pouvez l’arrêter. On s’est bien arrêté un fois car il y avait eu une émeute dans une ville, mais l’horloge continue de tourner. Vous mettez autant de choses que vous le pouvez en place au tout début, mais les choses varient. Vous parlez, discutez, reconsidérez chaque chose jusqu’au dernier jour de tournage.
Marc Forster : On modifiait les dialogues constamment. Daniel arrivait et disait : « J’ai pensé à quelque chose la nuit dernière, j’ai écrit ceci. Qu’en penses-tu ? » En février, on a fait venir un nouveau scénariste pour donner ces coups de polish au scénario. Cette collaboration constante a permis de donner une plus grande fluidité au film, que je remontais sans cesse dans ma tête. Je crois que cela rend le film plus fort qu’avec un script parfait, immuable. Cette collaboration avec Barbara [Broccoli], les divers départements crée une énergie et une créativité qui ne font qu’améliorer le film.
Daniel Craig : Tu as vraiment bien fait d’insister sur les tournages en extérieurs, en voulant créer quelque chose d’à la fois très classique et très moderne. Les scènes d’action importantes se faisaient presque toutes seules car tu avais pris les décisions bien avant de commencer le tournage.
Le Bond : Qu’est-ce qui rend ce Bond différent de tous les autres grands films d’action ?
Daniel Craig : Il est tout simplement plus colossal en tout.
Marc Forster : Je crois que ce qui les rend différent, c’est Barbara Broccoli et Michael Wilson, les producteurs. D’habitude, vous avez à faire à la bureaucratie des studios qui n’a pas d’intérêt personnel dans le film, si ce n’est des intérêts corporatistes. Les gens n’ont peur que de perdre leur boulot. Ils veulent s’assurer le succès, mais fuient si c’est un échec. Pour Barbara et Michael, c’est leur responsabilité si le film est un succès, mais aussi s’il ne marche pas, ce qui est…
Daniel Craig : … unique !
Marc Forster : Ils prenaient soin de Daniel, soutenaient ma vision du film. Le plus possible, ils essayaient de me donner ce que je voulais. C’est quelque chose de très positif.
Daniel Craig : Ils prennent soin de tout le monde. S’il y a un problème quelque part, ils vont le régler eux-mêmes. On tournait à Colon [au Panama, ndlr.] et dans des endroits privés. Ils ont toujours su engager les bonnes personnes, payer les factures et partir en laissant l’endroit en parfait état.
Marc Forster : Barbara et Michael ont construit un terrain de jeu à Colon, ville qui est touchée par la pauvreté. On y a été très bien accueillis. Si l’on avait dit à d’autres [producteurs] que l’on voulait tourner à Colon, ils nous auraient répondu : « Mais vous êtes fous ! » Eux vont dire : « Ok, comment peut-on faire pour rendre cela possible ? »
Le Bond : Quel moment, quelle scène vous a le plus marqué dans le film ?
Daniel Craig : Il y a la scène de l’hôtel dans le désert, que Marc a dirigé personnellement. Non seulement parce que c’était la dernière que nous avons tourné, mais aussi parce qu’elle était effrayante, excitante et très dure à réaliser.
Marc Forster : Il y a plusieurs moments que j’adore. Dès que Daniel joue avec un autre grand acteur, comme avec Judi Dench, c’est génial. La scène où ils sont seulement tous les deux avec Giancarlo est vraiment magnifique. Ils y montrent beaucoup d’émotions. Et il y a plein de petits moments avec Gemma Arterton, ponctués d’un humour très léger. Dans la dernière scène, celle de l’hôtel en feu, il y a beaucoup d’émotions avec Olga. On voit dans tout le film des petits aspects différents de Bond. C’est ce que je trouve fascinant, car ce personnage est un mystère. Bond ne va pas parler de son était émotionnel mais nous le ressentons, avec M. Greene. La scène de la fête avec Matthieu Almaric est un régal. Tous ces acteurs dégagent une énergie différente. Daniel interagit différemment avec eux. Il y a plein de grands moments de ce type dans le film.
Le Bond : Tout le monde dit qu’Eon est une grande famille. Qu’en pensez-vous ?
Daniel Craig : Tout cela vient directement de Cubby. De sa manière de mener sa vie personnelle et professionnelle. C’est très italien. Il s’entourait de ses plus proches, faisait confiance à ses proches et prenaient soin d’eux. Quand vous agissez ainsi, il y a un retour d’ascenseur. Cette manière de faire se poursuit avec Michael et Barbara. C’est la manière idéale de faire des films, et ça n’arrive hélas que très rarement, surtout sur des films de cette taille.
Marc Forster : Je crois beaucoup à cette dimension familiale. J’ai ma propre « famille » sur mes films. Quand j’ai accepté ce film, j’ai demandé à Michael et Barbara de pouvoir emmener ma propre famille. C’est comme cela que je travaille le plus efficacement.
Le Bond : Qui a pensé d’abord à Daniel Craig pour incarner James Bond ?
Barbara Broccoli : Tous les deux (rires) ! En Grande-Bretagne, c’est un acteur éminemment respecté. Il avait déjà attiré l’attention dans des films extraordinaires. Il était véritablement en train d’émerger. Nous savons tous désormais ce dont il est capable. Disons que Bond est arrivé au bon moment pour lui. (rires)
Le Bond : On compare beaucoup le jeu de Timothy Dalton et celui de Daniel Craig, leur manière d’aborder le personnage de Bond, qu’en pensez-vous ?
Barbara Broccoli : Quand Tim est arrivé sur les Bond, il voulait revenir à Fleming et aux sources des romans, avoir une approche plus réaliste. Cubby disait d’ailleurs toujours que quoi que l’on fasse, il fallait constamment s’inspirer de Fleming, que tout était là, qu’il était toujours « la » solution. Quant nous avons obtenus les droits de Casino Royale, nous avions une formidable envie de faire ce film. En dépit des deux tentatives précédentes, c’était le film que Cubby avait toujours rêvé de faire.
Le Bond : Quel réalisateur est Marc Forster ?
Barbara Broccoli : Spectaculaire ! Le seul problème c’est que c’est un très bon bâtisseur de films. Très doué pour faire travailler les gens ensemble. C’est la première fois que nous travaillons avec Marc Forster, nous sommes très impressionnés par ses méthodes. C’est le réalisateur le plus organisé et le plus préparé avec lequel nous ayons collaboré. Il a un plan de tous les décors et de tous les extérieurs et a réglé tous les cadrages, tous les mouvements de caméra pour chaque plan et chaque séquence avec le directeur de la photographie Roberto Schaefer. Tout était déjà planifié avant le début du tournage, et il est resté fidèle à son programme jusqu’au dernier plan.
Le Bond : Comment le gouvernement du Panama a-t-il réagi et quelles étaient les conditions de tournage sur place ?
Michael Wilson : Très bonnes. Bien-sûr, tout le monde avait entendu parler de James Bond. Les gens n’ont pas un style de vie contraignant, ils parlent bien anglais, les infrastructures comme les hôtels et les transports sont en bon état même si elles ne sont pas toujours très adaptées au tournage d’un film. Quand nous avons cherché où tourner, nous avons découvert qu’il était possible, entre la ville de Panama et Colon, de filmer toutes les scènes qui se déroulent en Bolivie et à Haïti. Pour nous c’était une aubaine parce que cela réduisait nos déplacements et facilitait beaucoup l’organisation du tournage. Les gens étaient charmants avec nous.
Barbara Broccoli : Depuis le début, quand Cubby et Harry [Saltzmann] voyageaient, ils veillaient scrupuleusement à laisser ces lieux comme ils les avaient trouvés ou, dans certains cas, d’agir pour donner une image positive, ne serait-ce qu’à travers les films.
Michael Wilson : A Colon au Panama, nous avons développés un programme en faveur de l’enfance, avec l’aide de Daniel qui était très impliqué.
Le Bond : Quel est votre roman de Fleming préféré ?
Barbara Broccoli : Casino Royale, je pense. Car il explore le personnage, ses implications émotionnelles et plante le décor du personnage pour les romans qui vont venir…
Le Bond : Vous entrez dans l’histoire du cinéma ?
Daniel Craig : On n’en est pas encore là ! (rires) Je savais une chose en acceptant le rôle : le poids de l’héritage, de la saga est lourd. Croyez-moi, je suis un fan de Bond, donc je savais quel était ce poids.