[Critique] Bond en Solo
Depuis 1968, peu d’auteurs ont eu le privilège ou le vouloir de reprendre le personnage de James Bond là où Ian Fleming avait interrompu ses aventures. Kingsley Amis et Sebastian Faulks furent les premiers. Aujourd’hui, c’est au tour d’un grand nom de la littérature contemporaine : Boyd, William Boyd.
Par Valéry Der Sarkissian
Un privilège, oui. Également une forme de reconnaissance. James Bond est une icône. Et depuis le succès critique et public de Casino Royale en 2006, 007 a acquis ses lettres de noblesse. Tout comme Sam Mendes pour la réalisation de Skyfall, le nom de William Boyd pour l’écriture du nouveau roman bondien était un bon choix. Un véritable gage de qualité. Boyd avait utilisé Ian Fleming en tant que personnage dans son roman A livre ouvert et, sitôt son nom révélé en avril 2012 par les Ian Fleming Publications, il n’avait pas tari d’éloges sur le créateur de James Bond. Mais ça, c’était avant.
Au cours des dix-huit mois qui ont précédé le 26 septembre 2013, date de lancement du livre, Boyd a donné peu d’interviews. Peu, certes, mais des gratinées. Quand d’autres auteurs (Faulks, Deaver ou Raymond Benson) évoquent Fleming, ils mettent en avant le plaisir qu’ils éprouvent à sa lecture, son imagination débordante, son sens du détail, la qualité de ses intrigues, la création de ses personnages et son don de faire croire à l’inimaginable. Pas Boyd. Pour Boyd, Fleming était surtout antisémite, raciste, sexiste et, j’en suis sûr, trop maigre.
D’entrée de jeu, Boyd avait prévenu. Avec lui, 007 serait de retour, mais son livre serait dépourvu de tous les défauts inhérents à Fleming. Ce serait une histoire carrée, sans fantaisie, sans éclat. Sans mégalomane, sans psychopathe, sans méchant d’opérette. Sans complot d’envergure et sans menace formidable. Une véritable histoire d’espionnage à laquelle les gens sérieux adhéreraient. Rien à voir avec les films qui sont plus proches, selon lui, des animations de Tex Avery que de la réalité. Même Skyfall, à ses yeux, ne fait pas exception.
Bref, William Boyd allait nous pondre un chef-d’œuvre. Le roman attendu par les fans de James Bond… sans les éléments qui en font la spécificité. Fort, le type. N’est pas génie qui veut. Mais ce grand modeste de Boyd ne pouvait être que le seul à y parvenir. Le seul, donc. Solo, en italien. C’est d’ailleurs le titre de ce roman Canada Dry. Alors, William Boyd a-t-il réussi son pari ? Oui… et non.
Avec Boyd, James Bond est en effet de retour. Le vrai James Bond, celui de Ian Fleming. Indéniablement. Fini le 007 de John Gardner qui était polyglotte et savait lire sur les lèvres, et fini le 007 de Benson qui connaissait toutes les techniques de combat et retrouvait des personnages qui avaient vieilli… mais pas lui.
Dans Solo, Bond fume. Et boit. Et refume. Et reboit. Il saigne, il souffre, il a des états d’âme. Et il couche avec des jolies femmes. Ce bouquin est un écrin dans lequel 007 s’épanouit sous la plume de l’auteur. Solo est le roman de James Bond. L’histoire évolue en fonction de ses choix, de ses envies, de son humeur. Peu d’indices à relever, pas de pistes à remonter, pas d’enquête à mener. Nous suivons James Bond au quotidien, au cours d’une mission dont il cherche vaille que vaille à s’acquitter. Pour les fans qui désespéraient de retrouver le 007 qu’ils avaient découvert à la lecture des romans d’origine, l’attente est terminée.
Bond Canada Dry
Après Kingsley Amis, William Boyd a réussi son tour de force. Il se permet quelques références à Fleming (Vivre et laisser mourir et Les diamants sont éternels), mais se garde bien de faire allusion aux écrits de ses prédécesseurs. Bien mieux, il balaie de quelques scènes l’intégralité des romans de Charlie Higson censés racontés la jeunesse de Bond. Ainsi, selon Boyd, 007 n’a pas encore sa cicatrice sur la joue en 1941. Or, selon Higson, Bond se fait cette cicatrice en cherchant à s’échapper du château SilverFin en 1934, en Écosse. Mais si Solo est un roman avec James Bond, il n’est pas un roman de James Bond.
L’entrevue avec « M » dure cinq pages. Tout est dit. On envoie 007 en mission comme s’il s’agissait du premier agent venu. Il s’agit de se rendre au Zanzarim, un pays africain imaginaire, et de faire cesser une guerre civile en rappelant à la raison, par tous moyens, un brigadier putschiste. Le nord du pays était une ancienne colonie britannique et le sud une colonie française. Or, c’est au sud qu’a été découvert un formidable gisement de pétrole.
Le brigadier Solomon Adeka est surnommé le Napoléon africain. Est-ce le grand méchant de l’histoire ? Réponse : Adeka meurt du cancer après que Bond lui ait serré la main. Car voilà le principal défaut de Solo : il n’y a pas de méchant d’envergure à qui Bond pourrait se mesurer. Les personnages qui lui font face sont davantage des adversaires que de véritables ennemis.
Même 007 songe que, s’il était à leur place, il agirait à leur façon. (Ja)Kobus Breed est la seule exception. Un mercenaire d’un sadisme inouï qui fait figure d’homme de main. La moitié de son visage est ravagée, comme fondue. Ça ne vous rappelle personne ? Double-Face, dans Batman.
Si Boyd a une piètre estime des films produits par les Broccoli, il ne se gêne pas pour écrire une scène se déroulant à la section « Q ». Pourtant Fleming n’en avait jamais parlé. Un nouveau « Q », le jeune Quentin Dale (toute référence à Skyfall ne peut être qu’un hasard…), lui fournit des gadgets… que Bond utilisera. Au moins, Amis s’était refusé cette facilité dans Colonel Sun.
Au rayon des similitudes, on peut distinguer le pays imaginaire au cœur de l’histoire (cf. Permis de tuer) et le formidable coup de théâtre qui achève la seconde partie (cf. le prégénérique de Skyfall) avant que Bond n’agisse en solo. Enfin il existe une coïncidence pas piquée des hannetons. Si le précédent roman, Carte blanche (2011) de Jeffery Deaver, s’achevait par la même surprise que dans Mission particulière (1982) de Gardner (le véritable méchant était une femme que 007 avait mis dans son lit au cours de sa mission), les personnages de Kobus Breed dans Solo et de Walter Luxor dans Mission particulière, tenant le même rôle et étant physiquement similaires, s’évanouissent dans la nature à la fin des deux ouvrages sans que le lecteur sache ce qu’ils deviennent.
En somme, James Bond parcourt une histoire qui ne lui convient pas. Solo se clôt sur un sentiment d’inachevé, comme si Boyd avait compris l’essence du personnage mais était complètement passé à côté de son sujet, c’est-à-dire écrire un roman de James Bond. Une demi-déception donc. Mais une déception quand même.
La réception du roman
Solo s’est vendu à près de 9 000 exemplaires lors de sa première semaine de publication, soit 48% de moins que le dernier roman de James Bond écrit par Jeffery Deaver, Carte Blanche (2011), et encore moins par rapport à celui de Sebastian Faulks, Le diable l’emporte (2008). Le 10 octobre, le London Evening Standard a listé le livre à la première place de la liste des meilleures ventes de Londres, lors des deux semaines du 5 et 12 octobre 2013, Solo a été listé comme numéro 3 dans la liste best-sellers fiction au Royaume-Uni, avant d’abandonner sa troisième place pour la quatrième le 19 octobre 2013.
Le roman a reçu des avis mitigés. Un certain nombre de critiques, y compris Robert McCrum dans The Guardian, David Mills dans The Sunday Times et Olen Steinhauer dans The New York Times, ont tous considéré le livre comme égal, ou supérieur, aux meilleurs romans de Ian Fleming. Steinhauer a estimé que c’est la description que Boyd fait de la guerre civile au Zanzarim qui donne au roman sa « plus grande puissance », mais il pense aussi qu’il y a une « ruse méta-fictionnelle propre » en connectant les expériences de guerre de Bond avec le 30 Assault Unit, une unité commando britannique développée par Ian Fleming. La connexion a également été reprise par Geoffrey Wansell, critique pour le Daily Mail, qui a vu l’hommage rendu à Fleming comme un « coup de maître », dans un roman qu’il pense comme « ramenant le vrai Bond, triomphalement ». Dans The Guardian, Richard Williams a dit avoir vu que Boyd utilisait une formulation similaire à celle de Fleming, tout en incluant « des gestes d’indépendance » avec ses propres idées. Williams estime que le résultat est une histoire qui « divertit beaucoup plus qu’elle n’exaspère ».
Une grande partie de la critique sur le roman se concentre sur l’intrigue. Jon Stock, écrivant dans The Daily Telegraph, a pensé que, bien que Boyd utilise les détails de la même manière que Fleming, attirant les amateurs de James Bond, le livre a été fondé sur « une intrigue curieusement non-exaltante » et qui était aussi « compliquée ». Dans The National, Nick Leech a également noté l’utilisation de détails, mais a estimé que cela a conduit à « un récit pédant et sinueux » aboutissant à « un final décevant ». Écrivant dans le London Evening Standard, David Sexton en convint, qualifiant le livre de « roman plutôt distrait », une « sortie boiteuse » dans le critère James Bond. David Connett a aussi vu des failles dans le roman, le qualifiant de « truc anémique », même s’il estime qu’il est « de loin supérieur à la dernière tentative pour donner vie à Bond par Jeffery Deaver ».