Judi Dench : l’adieu aux armes
Hiver 2012, tournage de Skyfall. Scène dans la chapelle. L’ambiance est pesante sur le plateau. Dernier regard entre « M » et Bond. Puis c’est la fin. « M » s’éteint dans les bras de son agent. Sam Mendes murmure « Coupez ». Daniel Craig aide délicatement Judi à se relever. La caméra qui filme le making of du film s’attarde sur Sam Mendes, très ému, qui ne peut retenir ses larmes…
Par Fanny Rabasse
Après dix-sept ans de bons et loyaux services à la tête du MI6 dans (00)7 films de la franchise, Judi Dench n’incarnera plus « M ». Judi Dench et la saga, c’est une belle et forte aventure commencée en 1995 avec GoldenEye. Elle ne s’attendait alors pas à ce qu’on lui demande de tenir ce rôle.
Elle, comédienne aux 82 nominations et aux 52 récompenses qui est avant tout shakespearienne qui brûle les planches londoniennes depuis plus de soixante ans.
Judi arrive d’ailleurs très tard au cinéma. C’est avec La Dame de Windsor que sa carrière démarre réellement. Cette performance lui vaut sa première nomination aux Oscar, la première d’une longue série : elle sera nommée sept fois et remportera un trophée pour son rôle de… huit minutes dans Shakespeare in Love.
Surprise donc, elle raconte que c’est son mari, l’acteur Michael Williams, décédé en 2001, qui l’a poussée à accepter :
« Lui et ma fille se moquaient constamment de moi car dans les James Bond, j’ai l’impression de maîtriser un tas de gadgets électroniques alors qu’en réalité, je suis incapable de me servir d’une télécommande. Mon mari disait souvent en riant : si Judi est la tête du MI6 pour protéger l’Angleterre, que Dieu nous vienne en aide ! »
Dench n’a pas tout de suite saisi l’importance d’un personnage féminin à la tête deMI6. C’était un vrai tournant d’installer une femme à la tête du MI6 dans les années 90. La saga a souvent eu tendance (pardon Messieurs) à représenter la gente féminine de manière assez superficielle. Pour Judi, « M » est d’emblée un personnage passionnant :
« Etre le boss de James Bond, c’est excitant à jouer et, il fallait féminiser ce personnage, au bon sens du terme. C’est-à-dire réfléchir à la manière dont une femme occupant cette place marquerait son autorité dans un monde d’hommes ».
Dès qu’elle entre dans cet univers, Judi annonce clairement la couleur : elle est une force sur qui il faut s’appuyer, elle ne s’en laissera pas compter par son playboy d’agent. Le ton est donné dès sa première scène dans GoldenEye. Dench possède une élégance et une noblesse puissantes. Son regard et son air déterminés lui permettent de donner au personnage une force qui reste dans les mémoires.
Durant toutes ces années, elle a pour partenaires deux Bond : Pierce Brosnan et Daniel Craig.
« Pierce est très chaleureux et on a beaucoup ri ensemble sur le plateau. Nous sommes devenus des amis très proches, il me manque beaucoup. Daniel a un talent énorme et j’adore travailler avec lui. Il n’y a aucune comparaison entre les deux. Ils sont extrêmement différents mais tous les deux des acteurs incroyables et ils ont une qualité essentielle à mes yeux : ils ne se prennent pas au sérieux et ont un grand sens de l’humour ».
Le rôle va lui donner une notoriété mondiale. Elle aime à dire que cela a contribué à élargir sa base de fans de 7 à 77 ans : « J’espère attirer, grâce à cette nouvelle notoriété, la jeune génération dans les théâtres »… Ce septième et dernier film est son plus notable. Pour la première fois, elle ne fait pas que donner des ordres dans l’oreillette à ses agents mais passe à l’action.
L’actrice de 78 ans ne s’attendait d’ailleurs pas à ce que son personnage meure. Barbara Broccoli et Daniel Craig l’en informent plusieurs mois avant le début du tournage lors d’une rencontre informelle :
« Je m’attendais à passer un beau moment avec eux autour d’un café, mais pas du tout. Ils m’ont annoncé la nouvelle sans ménagement et je l’ai reçue en pleine figure. Mais ils m’ont aussi expliqué que mon rôle serait plus important dans Skyfall. Je me suis ressaisie et j’ai dû faire bonne figure devant ma famille et mes amis. Ce fut compliqué de garder le secret pendant des mois mais ça en valait la peine ».
Sam Mendes qui a travaillé avec Judi quand il était un tout jeune réalisateur de 24 ans est catégorique :
« Elle a été la première grande actrice avec laquelle j’ai travaillé. J’ai plus appris en l’observant et en la regardant jouer que jamais auparavant. Sa dernière performance fait honneur à la saga et pour la première fois, elle a volé la vedette aux James Bond girls ».
La mort de son personnage dans Bond ne l’a pas soulagée.Judi avoue qu’elle aurait pu continuer encore des années :
« Avoir tourné dans sept James Bond a représenté une formidable opportunité de carrière cinématographique. J’ai été furieuse au début de devoir arrêter car j’ai passé des moments formidables sur les tournages de ces films. Mais il faut être réaliste ! Ne pensez-vous pas que si j’étais réellement à la tête de MI6, il ne m’aurait pas mise à la retraite à 78 ans ? Mais je reviendrai hanter le tournage du prochain Bond, tel un fantôme. Je me faufilerai dans le bureau de Ralph Fiennes et je lui déposerai sur son bureau une photo de moi qui lui tire la langue ! ».
La page se tourne pour Judi, mais l’univers de Bond n’est jamais très loin. Après la sortie de Skyfall, Judia joué durant trois mois à guichet fermé sur les planches londoniennes dans Peter & Alice. Son partenaire n’est autre que l’excellent Ben Wishaw (« Q »), et la pièce est écrite par John Logan, scénariste de Skyfallet du prochain Bond. Pendant les répétitions, Judi raconte l’avoir harcelé de questions sur le prochain opus. Celui-ci lui aurait répondu avec humour : « Tu comprends pourquoi je me suis débarrassée de toi dans Skyfall ! ».
Judi n’en a pas fini d’émouvoir. Comme dans le prochain film de Stephen Frears, Philomena, annoncé sur les écrans dans quelques jours, histoire de la douloureuse d’une mère irlandaise en quête de retrouver son fils illégitime adopté par une riche famille américaine. Un rôle qui, selon les critiques, devrait valoir à MissDench une huitième nomination aux Oscar.
Son emploi du temps sera cette année encore bien chargé. Avec le tournage de la suite de Indian Palace, avec son amie de toujours Maggie Smith et Dev Patel (Slumdog Millionnaire), qui connut un véritable succès au box-office anglais et américain. Puis viendra le tournage d’un film pour la BBC aux côtés de Dustin Hoffman. De retraite, elle ne veut entendre parler : « Il y a toujours des rôles pour tous les âges, même en fauteuil roulant ! ».
J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois Dame Judi. Ce qui frappe, c’est son incroyable humilité, sa gentillesse et sa simplicité. La dernière fois, c’était à Londres en juin, pour la dernière de Peter & Alice. Comme tous les soirs, les fans avaient envahi la rue pour l’attendre à la sortie du théâtre. Judi est restée trente minutes à signer des autographes. Un groupe de jeunes français attiré par la foule s’est approché :« Regardez, c’est la M de James Bond ! ». Ils ont hurlé de joie. Tout était dit.
Avoir tourné dans sept James Bond a représenté une formidable opportunité de carrière cinématographique.