[Interview] Dans les coulisses du Le Bond
Alors que le dernier numéro du Le Bond est parti à l’impression, vous vous demandez peut-être comment le Club arrive sans cesse à se renouveler, et à vous surprendre avec des magazines et articles flambant neufs à chaque trimestre. Aujourd’hui, nous discutons avec Frédéric Albert Levy, le Rédacteur en Chef des deux derniers Le Bond, qui nous explique tout le travail bénévole qui se cache derrière chaque couverture.
Bonjour Frédéric ! Comment es-tu devenu Rédacteur en Chef des derniers Le Bond, et est-ce un travail compliqué ?
Avant tout, un petit rappel : Le Bond ne m’a pas attendu pour exister, et ce que j’ai pu faire à ce jour est vraiment bien peu de chose par rapport à la tâche accomplie par les deux rédacteurs en chef qui m’ont précédé, Pierre Fabry et Vincent Côte. Plus de soixante numéros à eux deux. À raison de trois ou quatre numéros par an. Je vous laisse calculer combien d’années cela représente : bien des ministres aimeraient avoir leur productivité et leur longévité.
Pour répondre à la seconde question posée, je n’aime pas beaucoup les citations, mais il y en a une que j’ai constamment en tête. Elle est de Sénèque, philosophe stoïcien : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les faisons pas. C’est parce que nous ne les faisons pas qu’elles nous paraissent difficiles. » Autrement dit, il faut, certes, une impulsion initiale pour mettre en route un numéro de Le Bond, mais, une fois que la machine est lancée, elle se met peu à peu en place toute seule.
Cela ne veut pas dire qu’on peut aller pêcher la truite et que le magazine se fera « just like that » : une vigilance de tous les instants est nécessaire. Mais certains éléments s’imposent d’eux-mêmes, auxquels on n’avait pas pensé initialement. Un tout petit exemple ? Pour le numéro 69, spécial L’Homme au pistolet d’or, on avait en stock une interview de Maud Adams, mais rien sur Britt Ekland, ce qui était un peu injuste. C’est par hasard – mais était-ce vraiment le hasard ? – que j’ai retrouvé sur mes étagères son autobiographie, True Britt, dans laquelle elle consacre une page aux circonstances dans lesquelles elle avait été choisie pour incarner Mary Goodnight. On trouvera la traduction de cette page dans LB69.
Le Bond 69
Comment se passe la préparation d’un numéro du Le Bond ? Combien de temps est nécessaire à la confection d’un numéro ?
En gros, deux à trois mois, et entre 20 et 25 personnes impliquées entre l’écriture des articles, leur relecture, la mise en page sans oublier le travail d’impression et livraison. Au départ, un appel d’offre est lancé sur telle ou telle thématique. Les choses se précipitent dans les dernières semaines, car il faut bien boucler le magazine à un moment ou à un autre, mais, franchement, il est très difficile de « quantifier » le temps consacré par les uns et les autres pour parvenir au résultat final. Il faut le temps qu’il faut, étant entendu que, pour les raisons que j’ai essayé d’exposer plus haut, le travail, en l’occurrence, est aussi et d’abord un plaisir, pour tous ceux qui participent à cette entreprise.
La réalisation d’un numéro ressemble un peu à la confection d’un puzzle. Arrive un moment où les rubriques, la chronologie des articles, le choix des photos s’imposent d’eux-mêmes. Et puis, n’oublions pas l’essentiel : toute cette affaire est une entreprise collective. Je ne suis pas loin de penser sérieusement ce que notre président Luc Le Clech m’a dit un jour en plaisantant : « On s’en fiche de James Bond. C’est seulement un prétexte pour se retrouver entre amis. »
J’avoue que, même si cela prend du temps, j’éprouve beaucoup de plaisir à discuter au téléphone avec les maquettistes pour déterminer si telle ou telle photo devra être publiée en couleur ou en noir et blanc, ou tout simplement à envoyer un mail pour rappeler à tel ou tel qu’il est peut-être grand temps de rendre l’article qu’il a lui-même proposé. Je veux d’ailleurs saluer la manière dont tout le monde remplit toujours son contrat (bien que certains tendent souvent à envoyer un texte deux fois plus long que ce qui était demandé). Soit dit en passant, je tiens à rendre hommage à Luc, pour sa disponibilité : il répond toujours au téléphone, et dès 6h. du matin, et il n’attend jamais des siècles pour régler une question.
Le Bond
On a parfois l’impression que tout a déjà été écrit sur Bond, et pourtant, Le Bond continue à avoir des articles originaux. Quel est le secret pour se renouveler ?
Je suis moi-même perplexe quand je vois paraître, aujourd’hui encore, de nouveaux ouvrages sur Bond, alors qu’il y a déjà eu d’épaisses encyclopédies dont on pourrait penser qu’elles ont fait le tour du sujet.
Cela dit, la question du renouvellement est celle de l’Histoire avec un grand H. Si les événements qui ont eu lieu ne peuvent être changés, le regard que l’on porte sur eux évolue en fonction des préoccupations présentes. Des préoccupations, et – tout simplement – des données matérielles et techniques. On vient d’exhumer le scénario qu’avait proposé Anthony « Orange mécanique » Burgess pour L’Espion qui m’aimait. Cela fera sans doute l’objet d’une ou deux pages dans un prochain Le Bond. La copie restaurée de Dr. No que j’ai vue il y a deux ou trois ans était mille fois meilleure que celle que j’avais vue dans les années soixante, et j’ai pu découvrir – il était temps ! – à quel point de nombreux plans étaient de véritables compositions picturales !
Pour notre ami Bond, l’évolution des mœurs amène à se poser des questions qu’on ne se posait guère au moment où certains films ont été tournés. Il y a, bien sûr, l’attitude envers les femmes (l’épais bouquin anglais qui prétend traiter ce sujet est malheureusement exécrable). Je ne suis pas sûr qu’on pourrait représenter aujourd’hui dans un film une « conversion » aussi immédiate, aussi miraculeuse que celle de Pussy Galore (dans un roman récent, Anthony Horowitz dit bien que le naturel lesbien de Pussy est revenu au galop après sa « parenthèse » bondienne).
L’Histoire est une discipline qui s’écrit, mais surtout qui se ré-écrit. Pour ma part, je ne désespère pas de voir apparaître certaines réévaluations. Je suis bien conscient que, à l’heure actuelle, peu de gens pensent comme moi que Quantum of Solace n’est pas loin d’être le meilleur film de la série, mais je suis sûr que le temps jouera en sa faveur et qu’on finira par se rendre compte que peu d’épisodes ont su combiner aussi bien action et humanité du héros.
Si tu devais présenter Le Bond à un fan qui n’a jamais eu l’occasion de découvrir ce magazine, quels seraient les principaux points forts ou originalités que tu partagerais ?
Je dirais tout simplement deux choses. S’il s’intéresse déjà à Bond, l’affaire est, d’une certaine manière, réglée. Que l’on soit fan occasionnel ou bondophile de la première heure, il y a forcément des éléments qu’on ne connaît pas, qui ne nous passionnent pas forcément a priori, mais sur lesquels il n’est pas mauvais de jeter un coup d’œil.
Je suis sûr, par exemple, que certains bondophiles purs et durs voient les films en se fichant royalement de la manière dont Bond et les autres personnages sont habillés. C’est leur droit le plus strict, mais il faut bien se dire que le costume est un élément capital, même si ce n’est pas le seul, dans la création et la construction de l’univers Bond. Autrement dit, la fonction de Le Bond, qui, soit dit en passant, n’a pas – en tout cas, n’a plus vraiment d’équivalent à l’étranger, est de montrer à quel point, même si certains films de la série nous laissent un peu sur notre faim, ils sont tous le résultat d’un travail inouï, et ce dans tous les domaines. Ce qu’il n’est pas mauvais de rappeler en France, pays où, curieusement, on a assez fâcheusement tendance à minimiser la valeur du travail.
Merci à Frédéric pour cette interview, et bonne chance pour le prochain numéro consacré à Goldfinger ! En attendant, vous pouvez retrouver le prochain numéro du Le Bond en vous abonnant/réabonnant pour 2024.
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