TOP SECRET : L’exposition sur le Cinéma et l’Espionnage à la Cinémathèque
Comment les agents se créent : Exposition Cinéma & Espionnage à la Cinémathèque
Par Frédéric-Albert Lévy
La Cinémathèque française propose jusqu’en mai prochain une exposition intitulée Top Secret et consacrée à l’espionnage au cinéma. Certains, peut-être, vont tiquer : comment diable une aussi vénérable institution peut-elle se pencher sur un genre qui a produit un nombre incalculable de navets, en particulier dans les années soixante ? Même les deux Stanislas interprétés par l’irrésistible Jean Marais ou les OSS 117 bon-enfant signés (ce qui ne veut pas forcément dire : réalisés par) André Hunnebelle nous semblent aujourd’hui un tantinet laborieux.
Mais ce genre a attiré aussi les plus grands réalisateurs. Hitchcock, John Huston, Mankiewicz, Fritz Lang, Chabrol et bien d’autres encore ont contribué à faire de l’espion l’une des figures majeures du cinéma. Pour une raison, au fond, assez simple. Si l’art a pour fonction ou, mieux encore, pour mission, de nous faire découvrir la réalité sous un autre jour ; si, comme l’a dit Cocteau, la poésie, c’est ce qui permet de « voir dans les choses plus que les choses », l’espion, dont le métier consiste à découvrir des secrets, est à sa manière un artiste et un poète. Et c’est en outre, si l’on aime les mises en abyme, un comédien, puisqu’il passe le plus clair de son temps à se déguiser sous une fausse identité.
L’exposition de la Cinémathèque n’apporte pas de révélations fracassantes et propose en gros ce qu’on s’attend à y trouver (affiches, photos, dessins, extraits de films, objets – dont la combinaison en cuir d’Halle Berry dans Meurs un autre jour), mais elle souligne fort intelligemment au moins trois aspects du thème de l’espionnage au cinéma. Le premier, c’est l’existence indubitable d’un inconscient collectif. Bien sûr, on pourra toujours soutenir que c’est OSS 117 qui a copié sur James Bond ou l’inverse, mais le plagiat n’a finalement pas grand-chose à faire ici. Oui, la séquence de l’hélicoptère dans Bons Baisers de Russie n’est pas sans rappeler celle de l’avion dans La Mort aux trousses (les deux séquences sont projetées en parallèle sur un même écran) ; oui, le « Pain de sucre » de Rio a servi de décor à plus d’un film ; oui, il y a beaucoup de scènes (et d’assassinats) dans des trains dans les histoires d’espionnage… Et alors ? N’est-ce pas inhérent au sujet ?
L’autre trait majeur du genre – et qui en fait un genre éminemment cinématographique –, c’est, puisqu’il s’agit toujours de découvrir quelque chose, l’importance de l’espace, petit ou grand, et donc de la mise en scène. Il faut voir comment Hitchcock s’amuse avec des gros plans sur une simple clef dans Les Enchaînés. Mais il y a, inversement, toutes ces scènes embrassant des rues, des villes, des montagnes (quand c’est Tom Cruise qui s’en mêle) tout entières. Les bons réalisateurs sont ceux qui nous permettent de suivre sans difficulté leurs personnages à travers des dédales. Les mauvais s’y perdent et nous perdent.
Troisième chose, surprenante : même quand nous aimons Bond et son ami/ennemi « Q », nous avons tendance à penser que les gadgets qu’ils manipulent ne sont que l’invention de scénaristes ou de décorateurs facétieux. C’est en partie vrai : John Stears, responsable des effets spéciaux, racontait comment un cadre de l’armée britannique qui l’avait contacté avait été très déçu d’apprendre que le « cigare » permettant de respirer plusieurs minutes sous l’eau dans Opération Tonnerre était du domaine de la fiction. Mais l’exposition nous fait découvrir, à travers de « vrais » objets, que les chaussures à pointe empoisonnante de la vilaine Rosa Klebb n’ont rien d’imaginaire. Qu’il existe des bâtons de rouge à lèvres qui sont en fait des pistolets. Que des appareils photographiques ont pu se dissimuler dans des objets inattendus et minuscules.
Pour ceux qui ne sont pas parisiens et qui ne pourront pas venir visiter l’exposition, il existe un livre-catalogue de près de 300 pages, qui reproduit l’essentiel des documents et des objets exposés. Le classement des chapitres est un classement alphabétique quelque peu arbitraire – L pour Fritz Lang, soit ; K pour Salon Kitty est une entrée plus contestable… –, mais n’est-ce pas celui qu’on emploie quand le sujet qu’on traite est si vaste qu’on a du mal à le compartimenter ? Le chapitre Bond arrive en tête alors que B n’est que la seconde lettre de l’alphabet : il est classé à 007 et l’usage consiste – voyez vos ordinateurs – à faire passer les chiffres avant les lettres. Les Chiffres, dites-vous ? Oui, il y a bien dans ce premier chapitre une photo d’Orson Welles dans Casino Royale, version 1968.
FAL
L’exposition fermera ses portes le 21 mai 2023.
Top Secret : Cinéma & Espionnage, ouvrage collectif sous la direction de Matthieu Roléan et Alexandra Midal. Flammarion, 35€.