Les Folies du Roi George
George Lazenby : L’ancien mannequin australien n’interpréta l’agent secret qu’une fois. Mais quelle fois ! Il eût d’abord et surtout la rude mission de succéder à Sean Connery, incarnation de 007 pour des millions de fans. Son Bond tombe amoureux, se marie, avant que son épouse ne périsse sous les balles de Blofeld (cela ne vous rappelle rien ?), ouf !
Aujourd’hui, en dépit de son aspect daté, Au Service Secret de Sa Majesté reste, dans le cœur des fans, un film unique et de qualité. Lazenby – tout aussi unique – est entré dans le Panthéon bondien, par la grande porte. A travers de récents entretiens, retour sur un parcours original, ou chance voisine avec désillusions.
Par Pierre Fabry
George a rencontré Bruce Lee en 1972. Ils sont devenus amis. Lee l’a initié à sa philosophie de vie et à la technique de combat qui en découle, et qu’il a lui-même conçu. Au cours d’un déjeuner, en ce mois de juillet 1973, à deux semaines à peine du tournage, ils évoquent Le Jeu de la Mort, leur prochain film, le plus gros film d’art martial jamais produit, où Lazenby doit tenir le haut de l’affiche avec Lee et incarner son adversaire occidental. Ce jour là, la légende des arts martiaux se plaint de maux de têtes.
Le lendemain, l’attaché de presse de Lee appelle Lazenby pour lui annoncer la tragique nouvelle. George avait signé son contrat quatre jours auparavant. Voilà comment se jouent les destins. Et celui de la carrière une fois encore contrariée du playboy australien. Ce revirement aura pour avantage de lui ouvrir, à la fin des années 70, grandes les portes des studios de Hong Kong pour ce genre dans lequel il excelle.
Jimi Hendrix devait composer la musique de l’un de mes films [Universal Soldier, 1971], mais il est mort. Jimi vivait à Londres parce que des gangsters étaient sur sa trace à New York. Il gardait toujours une paire de ciseaux dans sa ceinture, au cas où… Je devais ensuite jouer avec Bruce Lee, mais il est également décédé. Je les connaissais bien tous les deux .
Pour le jeune Lazenby, la route fut longue jusqu’aux podiums.
Flashback dans les sixties
Arrivé à Londres après son service militaire effectué au pays natal (sergent dans les forces spéciales, ceinture noire de karaté, il assure l’enseignement des arts martiaux), passionné de sports mécaniques, très bon pilote et motard averti, George enchaîne les petits boulots : mécanicien, chauffeur puis vendeur de luxueuses voitures… Pour toute expérience à son crédit, des publicités et une apparition sur grand écran en 1965 dans un film de série B italien parodique de James Bond, Espionnage à Tanger. Une fois encore c’est par un concours de circonstances que la chance va frapper à sa porte…
En cette fin des sixties, fort de ses 1m88 et de son charme, George est l’un des modèles les mieux payés d’Europe. Il sera notamment en Europe l’un des « fameux » Marlboro Man. Londres est alors le paradis des hippies, si bien caricaturés par Austin Powers. Voilà qui explique en partie le détachement cavalier de Lazenby vis-à-vis de ses engagements, et de son engagement dans Bond en particulier.
Un bon(d) hasard
Contrairement à ce qui est usuellement prétendu, Lazenby ne fut pas découvert par Broccoli dans une publicité. En cette fin des années soixante, George partage alors son appartement avec un collègue australien, Ken Gaherity. Heureux hasard, son colocataire connait fort bien le célèbre agent Maggie Abbott. « Les Beatles et les Stones étaient trop célèbres pour sortir de chez eux sans être assaillis. Ils ne pouvaient se rendre au cinéma. Abbott demandait aux producteurs d’organiser des projections privées. Les producteurs des Bond, Broccoli et Saltzman, invitèrent Abbott lors de l’une de ces projections », raconte George. Celle-ci invita Gaherty qui déclina et… envoya George la rejoindre.
Deux semaines plus tard, les producteurs au désespoir appellent Abbott : « Ils cherchaient leur James Bond et semblaient avoir beaucoup de difficultés, accumulant les frustrations. Ils suppliaient Maggie : Tu dois bien connaître quelqu’un ! Pas nécessairement célèbre, juste quelqu’un qui a le look, la confiance en lui », précise-t-il.
Abbott pressa Lazenby de se rendre de toute urgence à Londres depuis Paris, où il se trouvait, afin de passer un screen test pour une production dont elle ne pouvait parler au téléphone. C’était Au Service Secret de Sa Majesté. Lazenby se présenta donc à l’audition avec le look de Bond, tiré à quatre épingles : costume issu des ateliers du tailleur de Connery sur Saville Raw, cheveux courts, Rolex au poignet. Mais ne pensez pas qu’il était conscient pour autant de pouvoir prendre la suite de Sean : « Un acteur serait allé passer les tests pour le rôle avec Connery à l’esprit, mais je n’étais pas un acteur », admet-il aujourd’hui. « J’étais si arrogant, je n’avais rien à perdre ».
Lazenby esquiva la secrétaire à l’accueil et gravit les escaliers en petite foulée pour impressionner le directeur de casting, Dyson Lovell. Dans le bureau de Saltzman, il est volontiers provocateur et indifférent, il fait la liste (fausse) des productions étrangères dans lesquelles il a tourné et va même jusqu’à avancer le montant de son cachet (50 000 Livres de l’époque, celui qu’il perçut effectivement par la suite ! Trois ans plus tard pour Universal Soldier, qu’il écrit et produit, il touchera le double…).
« C’était le rôle composé par Connery »,explique Lazenby qui, à 29 ans, et bien que devenant le plus jeune acteur à incarner 007, était d’une génération qui considérait que Bond appartenait au passé.
« Je portais des pantalons cintrés, tout le monde portait alors des pattes d’éléphants. J’avais les cheveux courts, alors que les hippies les portaient longs. Je n’étais pas vêtu pour tuer des gens. Les femmes sortaient avec des hommes ».
Cette constante inconscience lui permit d’obtenir le rôle. En fait, le jour de son audition, il s’est acharné à trouver un coach pour apprendre la comédie. Il s’attache les services de Ronan O’Rahilly, qui l’irrite tellement qu’il lui permit de berner les deux producteurs quant à ses capacités d’acteur. On connaît la suite, les « screen test » s’enchaînent… La scène de combat dans la chambre d’hôtel portugais fait partie de l’épreuve. Ca tombe bien, elle fait la part belle à l’action, à l’énergie, au punch (au sens premier du terme). Lazenby est expert en matière d’art martiaux, il emporte l’adhésion.
« Peter Hunt, le réalisateur, éclata de rire lorsqu’il apprit que je n’avais jamais joué la comédie. Tout allait pour le mieux, Hunt n’avait lui-même jamais dirigé de film ! Quand les producteurs apprirent que je n’étais qu’un porte-manteau, ils étaient très contrariés. Hunt s’est battu pour me garder », se souvient George.
A peine rentré, à peine sorti…
Revenant sur la pré-production, George dément les rumeurs selon lesquelles Brigitte Bardot aurait été en lice pour jouer Tracy, finalement interprétée par Diana Rigg. En revanche, Catherine Deneuve avait verbalement accepté le rôle, mais repoussa l’offre en apprenant qu’un novice avait été choisi pour jouer James Bond. Ce n’est pas surprenant : Lazenby aurait préféré Deneuve.
En effet, le tournage du film fut émaillé de diverses tensions. Et les révélations de « Paris Match » (le 30 octobre 1968), selon lesquelles Lois Maxwell était tombée amoureuse de Lazenby, n’y firent rien.
Pensant qu’il pouvait gagner beaucoup d’argent en deux films seulement et que la série s’essoufflerait (!), O’Rahilly convainquit Lazenby de refuser le contrat pour sept films proposé à l’issue du tournage, et ce en dépit de l’offre de Saltzman : un salaire mirobolant d’un million de dollars par film, sans compter les intéressements [à l’époque, pour mémoire, Clint Eastwood gagnait à peine cinq cent mille dollars par film ! ndlr.] !
Lazenby écouta son conseil et le regrette encore, quarante ans après : « J’aurais sans aucun doute dû rempiler, en faire au moins un autre, juste pour mettre un terme aux rumeurs qui prétendaient qu’ils m’avaient virés. Mes proches, les personnes qui me connaissent savaient que prendre ses distances avec ce rôle ce n’était pas intelligent, surtout dans une carrière débutante. Lorsque je regarde en arrière je me dis : comment est-ce arrivé ? Je n’avais aucune idée d’où j’allais quand je suis entré dans le monde de James Bond.
« Lorsque je suis devenu célèbre, je n’ai pas su comment gérer, cela m’a presque rendu fou.
Rétrospectivement, je ne peux blâmer que moi. J’aimerais revivre ces moments, j’aurais fait un ou deux autres films. Ca aurait bien marché je pense pour moi. (…) La gloire est de courte durée. Et vous êtes le dernier à apprendre que vous n’êtes plus sous les sunlights. J’avais mes habitudes dans certains clubs huppés de Londres. Un jour j’y suis retourné. Le portier a refusé de me laisser entrer. Tout à coup, je n’étais plus Bond, mais ce vieux George Lazenby, et cela ne m’autorisait même pas le permis d’entrer dans un club ».
Aujourd’hui, d’aucuns estiment aussi que l’accueil du public était trop tiède, et surtout bien en deçà des records des films de Connery… qui revînt contre un juteux intéressement pour Les diamants sont éternels !
Une vie après Bond
Après Au Service Secret de Sa Majesté, Lazenby fréquenta beaucoup David Niven, Grace Kelly et Peter Sellers, avec qui il improvisa d’ailleurs un numéro lors d’un gala de charité. Tous deux étaient très liés, jusqu’à ce que l’acteur britannique accuse Lazenby d’avoir couché avec sa femme, avec qui il avait travaillé !
Par la suite, ses apparitions au cinéma se raréfient : quelques films d’action à Hong Kong, du doublage pour des dessins animés, des films à petit budget. Lazenby campe le plus souvent des personnages d’espions, autant de clins d’œil à l’agent 007 qui fit sa renommée. En 1979, John Cleese – héraut des Monty Python – songe à lui pour son film La vie de Brian et le rôle de… Jésus himself ! On dissuade Cleese. En 1982, autre acte manqué. Kevin McClory évoque son nom pour reprendre le smoking dans Jamais plus jamais. Une fois encore, « l’original » a raison de son successeur. Outre son apparition dans la série Emmanuelle au tout début des années 90 ou dans un épisode d’Alerte à Malibu, George Lazenby incarne de façon récurrente le père du héros Jarod dans la série à succès Le Caméléon, en l’an 2000. Bon (et onéreux) client des conventions de stars bondiennes, George se rappelle régulièrement au souvenir des fans.
Aujourd’hui, que pense Bond n°2 de la nouvelle direction prise par 007 ? « Je suis très impressionné par le jeu de Daniel Craig. Il ne ressemble pas à un Bond. Je l’ai vu dans les films, et il m’a convaincu ! » Mais, à l’instar de Roger Moore, il trouve la violence excessive : « Peut-être suis-je trop vieux, mais le personnage est un meurtrier de sang froid, je pense que je lui donnerais plus de cœur ». Voilà qui est dit.
George partage aujourd’hui sa vie entre Hawaï, son Australie natale et la Californie, où il possède un ranch et un manoir. Marié une première fois durant vingt-quatre ans à Christina Gannett, il a divorcé l’an passé, au terme de six ans de mariage, de sa deuxième épouse (l’ancienne joueuse de tennis internationale Pam Shriver dont il a eu trois enfants). Ayant troqué ses bolides contre des clubs de golf (il joue cinq à six fois par semaine), George s’est définitivement assagi… Il a fêté le 5 septembre dernier ses 70 ans.